15 JANVIER 2023
Devenir un témoin
En ce dimanche, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous présente le passage de l’évangile du jour comme un exemple de la dynamique de l’évangéliste Jean, qui utilise à la fois beaucoup de références à l’Ancien Testament et de témoins, comme Jean le Baptiste, pour nous révéler la personne de Jésus.
LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE (49, 3.5-6)
Le Seigneur m’a dit :
« Tu es mon serviteur, Israël,
en toi je manifesterai ma splendeur. »
Maintenant le Seigneur parle,
lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère
pour que je sois son serviteur,
que je lui ramène Jacob,
que je lui rassemble Israël.
Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur,
c’est mon Dieu qui est ma force.
Et il dit :
« C’est trop peu que tu sois mon serviteur
pour relever les tribus de Jacob,
ramener les rescapés d’Israël :
je fais de toi la lumière des nations,
pour que mon salut parvienne
jusqu’aux extrémités de la terre. »
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (1, 1-3)
Paul, appelé par la volonté de Dieu
pour être apôtre du Christ Jésus,
et Sosthène notre frère,
à l’Église de Dieu qui est à Corinthe,
à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus
et sont appelés à être saints
avec tous ceux qui, en tout lieu,
invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ,
leur Seigneur et le nôtre.
À vous, la grâce et la paix,
de la part de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (2, 1-12)
Jésus était né à Bethléem en Judée,
au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d’Orient
arrivèrent à Jérusalem
et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu son étoile à l’orient
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé,
et tout Jérusalem avec lui.
Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent :
« À Bethléem en Judée,
car voici ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es certes pas le dernier
parmi les chefs-lieux de Juda,
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger de mon peuple Israël. »
Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant.
Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer
pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient
les précédait,
jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit
où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile,
ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison,
ils virent l’enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à ses pieds,
ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leurs coffrets,
et lui offrirent leurs présents :
de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Homélie
Le temps des fêtes, au sens liturgique, avec Noël et l’Épiphanie, a terminé lundi dernier avec le Baptême du Seigneur. Nous sommes maintenant dans le temps ordinaire. Pour qu’il y ait un temps des fêtes, il faut aussi un temps ordinaire! On a besoin des deux; on ne peut demeurer tout le temps dans un seul. Mais il y a une continuité entre les deux car l’Évangile d’aujourd’hui parle du baptême de Jésus (cf. la dernière fête).
C’est l’Évangile de Jean, dont le point de vue, l’angle de vision, est bien différent de celui de Matthieu, même si des éléments communs sont présents. En Matthieu, nous avions un récit du baptême; et c’est Jésus qui était témoin de la descente de l’Esprit et de la voix des cieux, citant le prophète Isaïe. Ici, nous avons plutôt un témoignage par Jean Baptiste. Comme une sorte de réflexion, déployant le sens de l’événement, du baptême, qui n‘est pas raconté, qui est déjà arrivé. Nous entendons la voix du témoin Jean Baptiste qui confirme, par une révélation, que Jésus est bien l’Élu de Dieu, sur qui l’Esprit est descendu et demeure.
L’approche par témoignage est très présente en Jean. Son évangile ressemble à une sorte de grand procès, à première vue de Jésus mais finalement du monde, où chacun vient apporter son témoignage. Le tout culmine avec la Passion et ses dialogues remarquables. Ici, à qui Jean Baptiste adresse-t-il ce témoignage? Juste avant, les Pharisiens étaient présents (Jn 1, 24). Juste après, deux de ses disciples seront là (1,35). Mais pour ce témoignage si fort, aucun public n’est mentionné. On peut le lire comme une parole adressée à tout le peuple (« pour qu’il soit manifesté à Israël »); et aussi à nous qui lisons ou entendons, car c’est un évangile écrit pour des lecteurs, ceux d’aujourd’hui comme ceux d’hier.
Ce texte est très dense. Il est riche théologiquement et son langage, ses symboles, proviennent des Écritures de la Première Alliance (l’Ancien Testament). Il proclame l’identité profonde de Jésus, avec plusieurs figures. Il y a l’agneau pascal qui évoque l’expérience de l’Exode (Ex 12) et du culte au Temple de Jérusalem. À la Passion, Jean fera des liens explicites entre Jésus et l’agneau de la pâque immolé au Temple (Jn 19, 14.36); c’est une figure de rédemption. Mais ici, elle est combinée avec celle du Serviteur souffrant, qui provient d’Isaïe (Is 53,4-7), évoqué dans la 1ère lecture, celui qui porte le péché du monde et sur qui l’Esprit de Dieu repose, lui qui est l’Élu ou le Fils de Dieu (Is 42,1) et la lumière des nations. Jésus est aussi celui qui était avant moi, dit Jean Baptiste; cette expression était déjà présente dans le Prologue (Jn 1,15).
Ainsi, on se retrouve avec une sorte d’annonce du mystère de Jésus, qui met ensemble les Écritures, des titres et symboles, autour d’un événement, le baptême de Jésus par Jean Baptiste. Et on trouve dans ce texte plusieurs thèmes qui reviennent en Jean : connaître, demeurer, voir, témoigner…. Nous sommes dans un évangile bien différent des Synoptiques (Matthieu, Marc, Luc), même s’il nous parle du même Jésus. Il a ses propres approches, qui ne sont pas toujours évidentes pour nous, mais qui font entrer dans un mystère et font réfléchir sur ce mystère, celui de Jésus.
Nous lisons et écoutons les Évangiles : non seulement et d’abord pour trouver des pistes d’action (que faire), ou être remué (que ressentir), ou connaître une vérité (que penser). Mais pour nous approcher de Jésus, le découvrir, entrer dans le mystère de sa personne, lui qui est au cœur de notre expérience croyante. Cela ne va pas de soi, notre culture s’intéresse plus aux actions, aux émotions, aux idées. Il y en a dans les évangiles! Mais aujourd’hui, il s’agit davantage de nous approcher d’un buisson ardent ou de laisser une lumière nous approcher.
À quoi ce témoignage de Jean le baptiseur peut-il nous inviter en ce début d’année et en ce temps ordinaire? Deux pistes, au moins, sont possibles. L’une est de vraiment écouter avec soin le témoin Jean Baptiste, de recevoir son témoignage et de prendre alors le temps de contempler le visage unique de Celui qui vient, qui s’approche : le Serviteur, l’Agneau, le Fils, rempli de l’Esprit. Le contempler dans la lecture et l’écoute de la Parole, dans la prière personnelle et communautaire, dans le recueillement et l’étonnement, …
Une autre piste est de prendre le relais de Jean Baptiste pour que son témoignage se poursuive, son annonce de Jésus l’Agneau, le Serviteur, le Fils. Nous pouvons nous inspirer de son style : il est décentré de lui-même et pointe du doigt un Autre qui vient; il fait des liens avec les Écritures; il se promène dans un riche univers symbolique. Nous pouvons devenir à notre tour un témoin qui invite d’autres à porter attention à la personne de Jésus le Christ, à réfléchir sur le sens des événements.
Dans la 2ème lecture, Paul et Sosthène s’adressent aux chrétiens de Corinthe. Dans ces trois versets, le Christ Jésus est mentionné quatre fois. Il est présent dans nos temps de fêtes et dans nos temps ordinaires. Par lui, avec lui et en lui, rendons grâce à Dieu notre Père, de qui viennent toute grâce et toute paix. Amen.
Fr. Daniel Cadrin, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.