31 DÉCEMBRE 2022
Le visage humaine de la Parole éternelle
En ce dernier jour de l’année, le frère Mateus Domingues da Silva, O.P. nous partage sa réflexion sur le prologue de l’Évangile selon saint Jean (1, 1-18) en nous présentant l’homme Jésus comme le vrai visage de la vraie Lumière.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN (2, 18-21)
Mes enfants,
c’est la dernière heure
et, comme vous l’avez appris,
un anti-Christ, un adversaire du Christ, doit venir ;
or, il y a dès maintenant beaucoup d’anti-Christs ;
nous savons ainsi que c’est la dernière heure.
Ils sont sortis de chez nous
mais ils n’étaient pas des nôtres ;
s’ils avaient été des nôtres,
ils seraient demeurés avec nous.
Mais pas un d’entre eux n’est des nôtres,
et cela devait être manifesté.
Quant à vous,
c’est de celui qui est saint que vous tenez l’onction,
et vous avez tous la connaissance.
Je ne vous ai pas écrit que vous ignorez la vérité,
mais que vous la connaissez,
et que de la vérité ne vient aucun mensonge.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN (1, 1-18)
Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence,
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie,
et la vie était la lumière des hommes ;
la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
Il y eut un homme envoyé par Dieu ;
son nom était Jean.
Il est venu comme témoin,
pour rendre témoignage à la Lumière,
afin que tous croient par lui.
Cet homme n’était pas la Lumière,
mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Le Verbe était la vraie Lumière,
qui éclaire tout homme
en venant dans le monde.
Il était dans le monde,
et le monde était venu par lui à l’existence,
mais le monde ne l’a pas reconnu.
Il est venu chez lui,
et les siens ne l’ont pas reçu.
Mais à tous ceux qui l’ont reçu,
il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
eux qui croient en son nom.
Ils ne sont pas nés du sang,
ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme :
ils sont nés de Dieu.
Et le Verbe s’est fait chair,
il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire,
la gloire qu’il tient de son Père
comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant :
« C’est de lui que j’ai dit :
Celui qui vient derrière moi
est passé devant moi,
car avant moi il était. »
Tous nous avons eu part à sa plénitude,
nous avons reçu grâce après grâce ;
car la Loi fut donnée par Moïse,
la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Dieu, personne ne l’a jamais vu ;
le Fils unique, lui qui est Dieu,
lui qui est dans le sein du Père,
c’est lui qui l’a fait connaître.
Homélie
Le quatrième évangile commence par un prologue très spécial. C’est une sorte d’hymne qui, dès les origines chrétiennes, a aidé de façon décisive les chrétiens eux-mêmes à approfondir le mystère qu’est Jésus – en effet, chaque personne cache son mystère, et Jésus n’est pas une exception. Si nous l’écoutons avec une foi simple, il pourra nous aider aujourd’hui à croire en Jésus et en son Dieu d’une manière plus profonde.
La vision biblique du temps et de l’histoire n’est pas cyclique : le temps est un chemin qui va vers un accomplissement. C’est pour la parole, une chose qui peut être vide et pleine, que « tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans elle. Dans la parole était la vie, et la vie était la lumière des humains; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. » La parole est au commencement. Et la parole est aussi toujours présente, parmi nous et en nous-mêmes, dans la mesure où « la parole était la vraie lumière, qui éclaire tout humain en venant dans le monde. Elle était dans le monde, et le monde était venu par elle à l’existence ». C’est cette même parole qui est à la fois le commencement et la fin de toute chose, le principe et l’accomplissement de la réalité tout entière.
Je suis convaincu que nous ne pouvons pas par nous-mêmes connaître quoi que ce soit sur Dieu. « Vere tu es Deus absconditus Deus Israhel salvator/ Mais tu es un Dieu qui te caches, Dieu d’Israël, sauveur! ». Si on parle de ce Deus absconditus (« Dieu qui se cache ») ou si nous prétendons savoir quelque chose sur Lui, c’est parce que nous osons croire au témoignage d’un certain homme à propos de Dieu. Il s’agit de Jésus de Nazareth. Il se révèle comme l’aspect visible et concret de la parole éternelle de Dieu, comme l’éclat de la lumière qui illumine toute la création. « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître ». C’est le témoignage humain de Jésus qui sauve, c’est-à-dire qui libère en nous montrant quelque chose sur Dieu – et rien d’autre.
Les prophètes, les prêtres, les maîtres et docteurs de la loi parlaient beaucoup de Dieu, mais aucun d’entre eux n’avait vu son visage. Il en est de même aujourd’hui parmi nous : dans l’Église, nous parlons beaucoup de Dieu mais personne d’entre nous ne l’a vu. Seul Jésus, « le Fils de Dieu, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître ». Ne l’oublions jamais. C’est seulement Jésus qui nous a révélé comment est Dieu. Jésus est l’unique source qui nous rapproche du mystère divin. Combien d’idées rachitiques et peu humaines sur Dieu faudra-t-il désapprendre et oublier pour nous laisser attirer et séduire par ce Dieu qui se révèle en Jésus!
L’homme véritable qui fut Jésus de Nazareth est, dans son humanité, une manifestation parfaite de l’unique vrai Dieu. Quelle intention se cache derrière les représentations que l’évangéliste Jean présente dans le prologue de son évangile ? De même, quelles intentions se cachent derrière les représentations légendaires et mythologiques employées par les évangélistes Matthieu et Luc dans leurs « évangiles d’enfance » ? Ces représentations expriment, je crois, que la relation entre Dieu et Jésus ne s’est pas établie après coup et comme par hasard, mais qu’elle est donnée d’emblée et fondée en Dieu Lui-même. Même si aujourd’hui nous traduisons cette idée en d’autres termes, moins mythologisants et plus cohérents avec la mentalité moderne, même si nous la traduisons en d’autres représentations, nous ne saurions pas rejeter ce qui est visé ici.
Il y a un premier élément : de toute éternité, il n’existe pas d’autre Dieu que Celui qui S’est manifesté en l’homme Jésus ; le visage que Dieu a montré en Jésus est le vrai visage de Dieu. Autrement dit, Dieu fut depuis le commencement et Il sera pour toujours tel qu’Il S’est révélé en Jésus.
Puisqu’il n’y a pas d’autre Dieu que Celui qui S’est révélé en Jésus, ce Jésus-là est un homme particulier qui, dans sa particularité, tient lui-même de ce Dieu universel une signification universelle.
Si Dieu rencontre les êtres humains en dehors de la prédication du Christ – par exemple, dans une religion, petite ou grande, peu importe, ou dans la vie séculière, agnostique ou athée –, il s’avère que l’unique vrai Dieu qui les rencontre est exactement le Dieu manifesté par et dans cette parole éternelle qui parle à tout être humain qui est venu à ce monde et qui a pris la configuration humaine de Jésus de Nazareth. Même si les humains ne reconnaissent pas le visage que cette parole a acquis en Jésus, et si cette même parole est pour eux celle d’un « Dieu inconnu », Dieu est pourtant Celui qui a pris le visage de Jésus : le Dieu qui les visite avec les mêmes sentiments et dans le même esprit que Jésus. Le non-chrétien peut donc lui aussi trouver sa libération dans cet unique vrai Dieu, le Dieu dont les chrétiens reconnaissent la parole en Jésus. Ce Dieu est le mystère qui, même hors de l’Église et des communautés chrétiennes, porte le visage de l’homme Jésus.
L’événement advenu dans et par Jésus ne s’explique donc pas exclusivement, aux yeux du croyant, par le cours de l’histoire. Jésus est l’image visible du Dieu invisible : l’importance de ce qui est advenu dans et par Jésus de Nazareth tient à ce que, pour les croyants, en Jésus, c’est Dieu Lui-même qui est présent et à l’œuvre, qui parle et agit, qui se révèle dans Son amitié pour les êtres humains. Ainsi Jésus est apparu au monde comme le mandataire et le lieutenant, le représentant et le plénipotentiaire de Dieu, confirmé par Dieu comme crucifié-ressuscité. Au-delà de la mort et la résurrection du Seigneur, les autres formules de foi dans le Nouveau Testament veulent seulement établir que le caractère et l’exigence qui ont été proclamés par et en Jésus s’adressent aux humains de tous les temps de manière irrévocable.
Jésus fut pleinement et totalement homme, faible comme moi, plein des possibilités comme vous. Sans restriction, il fut homme avec toutes les conséquences : angoisse, solitude, doutes, insécurité, incertitudes, tentations, douleurs, traumatismes, névroses, maladies, possibilité d’erreur. Jésus ne fut pas homme seulement, mais vraiment homme. En tant que tel, il est par sa prédication, son comportement et son destin, un modèle d’existence humaine comme praxis, entre profession de foi et engagement, entre raison pure et action. L’homme ou la femme qui, comme Jésus, s’abandonne en toute confiance à Dieu, il ou elle réalise le sens de la vie humaine et de sa liberté dans le choix d’exister pour autrui. Puisqu’il a été confirmé par Dieu, Jésus devient finalement la norme ultime de l’existence humaine, celle sur laquelle on peut toujours faire fond.
Mais comment Jésus devient-il la manifestation de Dieu pour nous et la parole libératrice ? Jésus le devient dans l’Esprit, dans le mode d’être de l’Esprit, comme réalité spirituelle. Et pourtant, comment savons-nous que l’Esprit est avec nous et que c’est dans l’Esprit que la parole de Dieu se manifeste ? Je crois que ce n’est que par le témoignage ; pas seulement le témoignage de Jésus sur Dieu, le témoignage par excellence, mais aussi le témoignage que chaque personne peut donner à la vérité. « Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui. […] Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant : “C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était” ».
Les chrétiens ont la mission de témoigner de la lumière qui est vie et sagesse créatrice, puisque « la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Pour chaque communauté des croyants et pour le témoignage de chaque fidèle, l’Esprit est la présence du Crucifié glorifié, parole éternelle de Dieu. Dans l’octave de Noël, nous fêtons, dans le Christ crucifié et ressuscité, l’Incarnation de la parole créatrice qui est la lumière qui illumine tout être humain venu en ce monde. C’est une fête trinitaire que nous célébrons dans notre chair humaine et dans l’histoire humaine. « Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ; car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».
Tout change lorsqu’on arrive enfin à saisir que Jésus est le visage humain de Dieu. Tout devient plus simple, chaque chose devient plus claire. Désormais nous savons comment Dieu nous regarde quand nous souffrons, comment Dieu nous cherche quand nous nous égarons, comment Il nous comprend et nous pardonne quand nous le renions. Effectivement, dans la mémoire humaine de Jésus de Nazareth, dans sa vie tout entière, « la grâce et la vérité » de Dieu nous sont révélées.
Fr. Mateus Domingues da Silva, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.