3 DÉCEMBRE 2022
Regarder avec tendresse
Aujourd’hui, le frère Mateus Domingues da Silva, O.P., nous invite, à l’exemple de Jésus, à changer et approfondir notre vision des gens autour de nous et à porter un regard de compassion sur eux lorsque d’autres seraient portés à juger.
LIVRE DU PROPHETE ISAÏE (30, 19-21.23-26)
Ainsi parle le Seigneur, le Dieu saint d’Israël :
Peuple de Sion,
toi qui habites Jérusalem,
tu ne pleureras jamais plus.
À l’appel de ton cri, le Seigneur te fera grâce.
Dès qu’il t’aura entendu, il te répondra.
Le Seigneur te donnera du pain dans la détresse,
et de l’eau dans l’épreuve.
Celui qui t’instruit ne se dérobera plus
et tes yeux le verront.
Tes oreilles entendront derrière toi une parole :
« Voici le chemin, prends-le ! »,
et cela, que tu ailles à droite ou à gauche.
Le Seigneur te donnera la pluie
pour la semence que tu auras jetée en terre,
et le pain que produira la terre
sera riche et nourrissant.
Ton bétail ira paître, ce jour-là,
sur de vastes pâturages.
Les bœufs et les ânes qui travaillent dans les champs
mangeront un fourrage salé,
étalé avec la pelle et la fourche.
Sur toute haute montagne, sur toute colline élevée
couleront des ruisseaux,
au jour du grand massacre,
quand tomberont les tours de défense.
La lune brillera comme le soleil,
le soleil brillera sept fois plus,
– autant que sept jours de lumière –
le jour où le Seigneur pansera les plaies de son peuple
et guérira ses meurtrissures.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (9, 35 – 10, 1.5a.6-8)
En ce temps-là,
Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages,
enseignant dans leurs synagogues,
proclamant l’Évangile du Royaume
et guérissant toute maladie et toute infirmité.
Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles
parce qu’elles étaient désemparées et abattues
comme des brebis sans berger.
Il dit alors à ses disciples :
« La moisson est abondante,
mais les ouvriers sont peu nombreux.
Priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »
Alors Jésus appela ses douze disciples
et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs
et de guérir toute maladie et toute infirmité.
Ces douze, Jésus les envoya en mission
avec les instructions suivantes :
« Allez vers les brebis perdues de la maison d’Israël.
Sur votre route,
proclamez que le royaume des Cieux est tout proche.
Guérissez les malades, ressuscitez les morts,
purifiez les lépreux, expulsez les démons.
Vous avez reçu gratuitement :
donnez gratuitement. »
Homélie
Jésus accorde de l’importance à la façon de regarder les gens. La manière humaine d’agir en dépend largement. Une des sources chrétiennes les plus anciennes recueille cette observation : « La lampe de ton corps, c’est ton œil. Quand ton œil est limpide, ton corps tout entier est aussi dans la lumière; mais quand ton œil est mauvais, ton corps aussi est dans les ténèbres » (Lc 11, 34). Effectivement, un regard clair permet à la luminescence d’entrer en nous et nous pouvons ainsi agir avec lucidité.
À quoi ressemblait-il, le regard de Jésus? Comment voyait-il les gens? De façons diverses, les évangélistes répètent que son regard était différent. Il n’était pas comme celui de certains religieux radicaux, de certains moralisateurs ou de certains maîtres de la loi qui ne voyaient que l’impiété, l’ignorance de la loi et l’indifférence religieuse. Jésus ne ressemblait pas non-plus à Jean-Baptiste qui ne voyait que le péché, la corruption, les inconsistances et les incohérences dans les foules avant l’arrivée imminente de Dieu.
Le regard de Jésus était plein d’affection, de respect et de solidarité. « Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger » (Mt 9, 36). Il souffrait quand il voyait tant de gens égarées et sans rien. Ici, les foules sont victimes d’un abandon dans lequel elles se sont retrouvées seules, fatiguées et abattues par la vie.
Chacune des personnes dans ces foules est une victime plutôt qu’une personne coupable. Elle n’a aucun besoin d’entendre plus de condamnations mais seulement de connaître une vie plus humaine. Jésus a voulu, en effet, lancer un mouvement nouveau et indubitable, à contresens de toute religion établie. Il a appelé ses disciples et leur a donné « le pouvoir » (cf. Mt 10, 1), non pas de juger mais de sauver.
Le regard de Jésus apparaît comme une révolution inouïe dans l’idée qu’on se faisait de Dieu. L’enjeu que soulevait ce regard était celui d’un Dieu qui semblait délié de sa propre loi: Dieu non pas des pieux zélateurs de la loi, mais de ceux qui la transgressent. Il faut même énoncer le paradoxe incroyable : « Dieu » non pas de ceux qui craignent Dieu, mais Dieu «des sans-Dieu»!
Dans l’Église, nous changerons lorsque nous commencerons à regarder les gens autrement – exactement comme Jésus les regardait. Lorsque nous voyons les autres et nous-mêmes plutôt comme des victimes que comme des coupables, lorsque nous nous concentrons moins sur le péché que sur les souffrances, lorsque nous regardons tout le monde avec moins de peur et plus de miséricorde, à ce moment-là, le règne de Dieu est proche, l’Évangile vient d’arriver et une conversion s’est déjà imposé – pas une conversion d’autrui, mais de l’Église elle-même, une conversion de son regard.
Personne n’a reçu de Jésus « le pouvoir » de condamner mais uniquement celui de guérir. Jésus ne nous appelle pas à juger le monde mais à sauver la vie. Il n’a jamais voulu lancer un mouvement pour combattre, condamner et vaincre ses adversaires. Il a appelé ses disciples pour qu’ils regardent le monde avec tendresse – et rien de plus. Il voulait tout simplement voir ses disciples consacrés à alléger la souffrance et à insuffler l’espoir. Voilà le seul légat que Jésus a voulu laisser.
Fr. Mateus Domingues da Silva, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.