Homélie, dimanche, 3ème Semaine de l’Avent

11 DÉCEMBRE 2022

Es-tu Celui...

En ce troisième dimanche de l’Avent, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous parle du grand homme, de l’homme de transition, qu’était Jean Baptiste et nous invite à faire preuve de patience.

homelie

Homélie

En ce 3e dimanche de l’Avent, Jean le Baptiste est encore là. Il est impressionnant. C’est un homme de parole et de la Parole. Nous l’avons vu, dimanche dernier (Mt 3, 1-12), appelant à la conversion et annonçant la venue du Messie, qui va enfin mettre de l’ordre. Mais aujourd’hui nous anticipons une nouvelle étape dans son parcours : en prison, Jean se questionne maintenant sur Jésus. Il n’est plus sûr : Est-il Celui qui ….

Jean a fait son travail et il l’a bien fait. Homme du passage vers une vie nouvelle, il a préparé le chemin. Par ses options, il a ouvert la voie à l’accueil de Jésus : l’ouverture aux gens de toute condition, l’insistance sur la décision personnelle, l’affirmation de la priorité du Règne de Dieu. Au début de son ministère, Jésus lui-même, baptisé par Jean, a repris son style et son message; il s’est inscrit dans sa ligne. Jésus le reconnaît dans ce récit de Matthieu où il exprime son admiration pour le prophète du désert, le plus grand parmi les hommes.

Mais Jean est l’homme du jugement de Dieu qui s’en vient et sera terrible. Les puissants et ceux qui refusent de changer vont passer par le feu. Or, Jésus vient : il parle et il agit d’une toute autre manière, qui surprend. Qu’est-ce qui se passe ? Où est ce Messie tant attendu qui va enfin rétablir le droit ? C’est pourquoi, en prison, Jean en vient à se questionner, à douter de Jésus : Es-tu celui qui doit venir? Pourtant, il avait pressenti que ce Jésus serait le libérateur. Mais il est dérouté par ce que Jésus dit et fait : Jésus souligne la miséricorde et la libération déjà en œuvre ; il donne à voir et entendre des vies transformées (les aveugles, les boiteux, les lépreux, les sourds, les morts, les pauvres), plus que la grande finale des règlements de compte.

La question de Jean face à Jésus rejoint celle de beaucoup de gens aujourd’hui. II y a un attrait vers Jésus mais en même temps un doute. Car Jésus est déroutant et ne correspond pas aux images que nous nous faisons d’un guide religieux ou politique. Il n’irradie pas la force et le contrôle, ou l’intériorité et la maitrise, mais le don et le service. Et même des chrétiens se posent parfois cette question : faisons-nous fausse route, faut-il chercher ailleurs, chez un autre, moins paradoxal, le sens à nos vies? Et les autres sont là, disponibles et nombreux. C’est comme si Jésus lui-même devenait un obstacle, un scandale (une occasion de chute), pour Jean comme pour nous. Jean espérait un grand nettoyage, et vite. Mais une autre voie se dessine, plus lente, plus compatissante et moins raide que prévue. Par ailleurs, Jésus et Jean seront réunis dans un même sort : ils seront tous deux exécutés car ils dérangent.

Jean a envoyé ses disciples poser une question radicale à Jésus : Es-tu Celui … Dans l’histoire, certains des disciples de Jean le Baptiste ont répondu à sa question autrement qu’André et un autre (Jn 1,35-37), qui ont suivi Jésus. Ils ont répondu que Jésus n’était pas Celui qui devait venir; et ils sont demeurés fidèles à Jean Baptiste. Ce mouvement religieux existe toujours aujourd’hui : ce sont les Mandéens (ou Sabéens). J’en ai rencontré en Irak dans les années 90. Ils ont traversé les siècles, vêtus de blancs pour leurs rites baptismaux, menant une vie communautaire et près de cours d’eau, dans la reconnaissance de Jean, et non pas Jésus, comme l’Envoyé de Dieu. Leur vision est marquée par le dualisme (lumière-ténèbres) et comprend cinq piliers : le monothéisme, la prière, le jeûne, l’aumône, et le baptême. On les retrouve en Irak et en Iran. Mais durant les dernières décennies, ces pacifistes ont été persécutés et dispersés. Finalement, par ses disciples actuels, la voix de Jean Baptiste se fait encore entendre : elle continue de déranger et de poser question.

En ce temps de l’Avent, Jean le baptiseur, cette figure du seuil, à la croisée des chemins, un pied dans l’ancienne alliance et l’autre dans la nouvelle, peut nous inviter à porter plus attention à Jésus, à sa singularité et aux signes qu’il accomplit ; à ce qui peut dérouter nos attentes, nous poser question. En quoi Jésus me déroute-t-il moi aussi ? Dans ses paroles, dans ses actions, dans sa personne et sa vie, qu’est-ce qui me laisse songeur, m’invitant à méditer et réfléchir, dans ma cellule intérieure, et à aller plus loin ?

Celui qui doit venir à Noël, il vient déjà dans nos vies. Sa présence est à l’œuvre dans ce que nous pouvons entendre et voir : des mains fortifiées et des genoux affermis, des yeux qui s’ouvrent et des pieds qui marchent, des exclus qui se retrouvent au centre, des oreilles qui se mettent à entendre et des bouches à chanter, des cœurs qui battent à nouveau. Ces signes que Jésus mentionne, ils sont là aujourd’hui, au proche ou au lointain de notre univers personnel et social, au plus intime et au plus vaste, dans des projets qui donnent goût à la vie, des relations qui soutiennent, des paroles qui font espérer. À chacun de nous de les reconnaître et d’y porter attention.

La lettre de Jacques nous invite à tenir fermes et prendre (et non perdre) patience. Nous en avons besoin, de fermeté et patience, mais aussi il appelle à ne pas gémir les uns contre les autres! Isaïe nous rappelle la splendeur de notre Dieu et nous convie à l’allégresse et la joie. Alors rendons grâce en ce temps de marche vers Noël, rendons grâce pour ces Jean Baptiste, qui nous font aller plus loin, et pour ces signes, ces vies transformées, qui nous annoncent la Bonne Nouvelle, celle de Jésus le Christ vivant, donné et partagé dans la parole et le pain de vie. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

PRIÈRE

Dieu de toute joie, nous te prions :
donne-nous d’écouter ta parole avec espérance
et accorde-nous la force de l’accomplir avec patience.
Par Jésus Christ ton Fils, notre Seigneur et notre Frère,
qui vit et règne avec toi dans la communion de l’Esprit Saint,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.