Homélie, 27ème mardi du Temps Ordinaire

Que n’a-t-on pas écrit sur cette page d’Évangile? Bien des commentaires en déduisent la supériorité de la vie contemplative sur la vie active ou apostolique. Est-ce bien le cas? Que voyons-nous? Tout d’abord Jésus venant chez deux de ses amies qui l’accueillent. Marie est assise à ses pieds pour écouter sa parole. Quant à Marthe, elle se dépense beaucoup pour son ami. Elle est à ce point accaparée par les ‘multiples’ services et tiraillée qu’elle cherche à imposer à Jésus sa volonté. Elle interrompt la conversation entre lui et sa sœur. Chère Marthe! Elle se donne tant de troubles. C’est elle la maîtresse de maison qui s’agite, car elle sait qui elle accueille. Jésus la comprend. Voilà pourquoi il ne s’agit pas tant pour lui de lui faire des reproches que de l’aider à ne pas se laisser distraire par ses soucis et la dispersion de ses gestes de ‘la seule chose nécessaire’. Ce faisant, il lui propose une hiérarchie des valeurs : accepter d’être servie avant de servir! Tu veux servir, commence par accepter d’être servie par le véritable Maître de la maison, de la maison du Père.

La clé, la base de la vie de tout disciple : accueillir la Parole. Être servie par le Maître pour vivre de la Parole. Marthe et chaque disciple avec elle sont invités à reconnaître la primauté de l’écoute, précisément dans le but de bien servir, car un service sans écoute perd la raison de sa joie et son rayonnement. Marie est proposée en modèle à Marthe parce qu’elle se laisse évangéliser.

Ceci étant dit, j’aimerais attirer votre attention sur la portée révolutionnaire de ce récit tout simplement parce qu’il met en jeu des femmes. Pour commencer, Jésus bouleverse les règles de l’hospitalité de son époque en acceptant d’être reçu par deux femmes, sans chaperons, si je puis dire. De plus, il manifeste une grande familiarité avec elles. Les signes de leur amitié sont évidents autant chez Luc que chez Jean, où nous les retrouvons autour de la mort de Lazare. Cette amitié est telle qu’elle peut expliquer le langage franc qu’adopte Marthe avec Jésus. Elle lui fait des reproches et va jusqu’à lui donner des ordres. Dans la réponse de Jésus, il y a de la franchise, mais aussi de la tendresse. Quant à Marie, elle ose se mettre aux pieds de Jésus. Oui, ce Jésus est bien différent des rabbis classiques de son époque!

Poursuivons notre réflexion. En choisissant l’écoute, Marie refuse le rôle de la bonne ménagère qui n’est là que pour préparer les repas ou servir. Elle sait qu’avec Jésus elle peut l’écouter et que lui accepte qu’elle soit là à l’écouter. Jésus, dans sa réponse à Marthe, confirme qu’il voit en Marie une disciple de plein droit. Une femme a pris la meilleure part non pas pour être relayée dans un cloître obscur de la vie contemplative, mais pour manifester les qualités fondamentales du disciple : écouter et aimer. 

Marie brise ainsi une représentation réductrice de la femme où celle-ci ne tirerait sa valeur que de ce qu’elle fait pour les autres, où la femme doit se sacrifier au service des autres pour être reconnue. Marie refuse de chercher à se faire accepter du Seigneur par ses services. Elle Marie, une femme, nous dit que sa valeur ne dépend pas d’abord de ce qu’elle fait, mais d’être là au pied de Jésus. Elle revendique son droit, comme tout être humain créé par Dieu, d’écouter sa Parole. Et Jésus l’approuve.

Dans cette page d’Évangile, carrément prophétique et révolutionnaire, Marie présente la figure d’une femme chrétienne libre, qui choisit de servir en puisant à la source du service : l’amour reçu de Dieu. 

Prenons conscience que le service véritable trouve sa source dans l’écoute. Tout souci de se réaliser par ses propres œuvres n’a plus de raison d’être. N’est-ce pas ce que Paul a compris? Primauté à l’appel même s’il se sera dépensé sans compter pour l’annonce du Christ ressuscité.

Prenons conscience également du fait que la Parole que nous entendons ce matin est celle de Jésus et de deux femmes, ses amies. Luc nous livre un petit récit qui a dû bouleverser en son temps et qui bouleverse encore une Église qui, très tôt dans son histoire, n’a pas entièrement compris les options fondamentales de son Seigneur.

Fr. André Descôteaux, O.P.

PRIÈRE