4 SEPTEMBRE 2022
L'exigence de suivre Jésus
En cette première célébration de l’année universitaire 2022-2023, le frère André Descôteaux, O.P., nous explique des paroles plutôt dures, voire controversées, de Jésus sur les conditions pour le suivre en tant que disciples sur le long terme.
LIVRE DE LA SAGESSE (9, 13-18)
Quel homme peut découvrir les intensions de Dieu? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur? Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées.
Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donnée la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint?
C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À PHILÉMON (9b-10.12-17)
Bien-aimé, moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus, j’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ. Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur. Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile. Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers.
S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (14, 25-33)
En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.
« Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’
« Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix.
« Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »
Homélie
Alors que nous rentrons de vacances et qu’il nous arrive de rêver encore aux bons moments passés avec nos familles et nos amis, alors que certains trouvent laborieuse la reprise des activités, ce matin, le Seigneur est loin de nous consoler. Il a des paroles très dures. En plus, la traduction proposée par la liturgie est incorrecte. Littéralement, Jésus ne dit pas ‘si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère’, ce qui correspond à la version de l’évangéliste Matthieu, mais plutôt ‘ si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple’. Comment ne pas être d’accord avec la grande Sainte Thérèse d’Ávila qui aurait dit : ‘Ce n’est pas étonnant Seigneur que tu aies si peu d’amis, vu la manière dont tu les traites’!
Haïr son père, sa mère. Il y a une force, une insistance qui déroutent et qui surprennent sur le plan même de la cohérence des propos de Jésus dans l’Évangile de Luc. À ce que je sache, Jésus n’a jamais haï sa mère, ses frères même s’il a dit que sa famille était constituée de ceux qui écoutaient sa parole. De plus, Jésus n’a-t-il pas demandé d’aimer ses ennemis ? Comment expliquer qu’il faudrait haïr ses parents ? Il demande même de les honorer. Ce n’est pas surprenant. À son époque, il n’y avait aucun système social de soutien. Les ignorer, lorsqu’ils deviennent vieux, reviendrait à les condamner à la misère. Haïr sa propre vie. Comment aimer Dieu et son prochain comme soi-même si on se déteste? Jésus poursuit avec la condition de porter sa croix. ‘Celui qui ne porte sa croix pour marcher à ma suite n’est pas digne de moi’. Ainsi le suivre sans porter sa croix ne suffit pas pour être disciple. Se complaît-il dans une morbidité malsaine, une religion doloriste?
Suivent deux courtes paraboles où Jésus essaie de s’expliquer. Dans un cas, il s’agit d’une action non encore commencée, seulement envisagée : bâtir une tour; dans l’autre, d’une action déjà commencée, mais non encore arrivée à terme : être en guerre et confronté à des forces supérieures. Dans les deux paraboles, il s’agit, si je comprends bien, de prendre le temps de s’asseoir pour se demander si nous avons les moyens de nos ambitions ou de nos rêves. Il faut envisager toutes les possibilités, y compris celle de ne pas pouvoir porter à terme le projet. Même en marche, comme le roi qui part en guerre, il faut être conscient de la situation qui peut changer et procéder à des évaluations. Bref, le vouloir est conditionné par le pouvoir. Qui veut être disciple doit se demander s’il peut en vivre les conditions du début jusqu’au terme, dans la durée. Et cela peut être exigeant.
Il ne faut pas perdre de vue que ses paroles transmises par Luc sont entendues par des communautés qui connaissent l’incompréhension, le rejet et quelques fois la persécution. Encore aujourd’hui et dans cette église même, des personnes qui ont été baptisées durant la Veillée pascale, ont dû se faire discrètes par crainte de la réaction de leurs familles.
Quand Paul demande à son ami Philémon de bien accueillir son esclave Onésime qui s’était enfui de lui et de le recevoir comme un frère, cela ne va pas de soi. Délicatement, Paul invite Onésime non seulement à pardonner, mais à porter un nouveau regard sur celui qui était son esclave. Loin d’être évident dans une société où l’esclavage était normal.
Il y a quelques années, Shahbaz Bhatti, un chrétien pakistanais engagé pour la liberté de religion et qui a été le premier ministre des minorités religieuses non musulman, écrivait dans son testament : ‘On m’a demandé d’abandonner ma bataille, mais j’ai toujours refusé, même si je sais que je risque ma vie. Moi, je veux servir Jésus. Cette dévotion me rend heureux. Je ne cherche pas la popularité, je ne cherche pas de position de pouvoir : je veux seulement une place aux pieds de Jésus. Je veux que ma vie, mon caractère, mes actions parlent pour moi et disent que je suis en train de suivre Jésus Christ’. Shahbaz Bhatti a été assassiné le 2 mars 2011 à Islamabad. ‘Je veux que ma vie, mon caractère, mes actions parlent pour moi et disent que je suis en train de suivre Jésus Christ ‘.
Il ne faut pas se faire d’illusion : suivre Jésus est une option exigeante. Elle doit être consciente, car elle comporte un risque. Nous sommes bien loin d’une foi qui console à peu de frais, d’une foi qui endort, qui fait de belles promesses sans insister sur la nécessité de s’engager. Nous sommes bien loin d’une sorte de surplus de sens qui s’ajouterait comme une couche de peinture extérieure à nous sans nous pénétrer au plus profond de nous-mêmes. Le Christ vient nous chercher au cœur de nos vies, dans ce qu’il y a de plus sacré pour nous. Il ne le rend pas sans importance, mais le situe dans un horizon de sens différent, plus vaste, comme nous amours, nos familles, nos amis. Il met au cœur de nos vies le mystère pascal et le visage du crucifié ressuscité. Lui qui, au moment où il parle aux foules, est résolument engagé dans sa marche vers Jérusalem, vers sa passion.
Il ne s’agit pas pour autant d’un culte de la misère ou de la souffrance, mais de la vraie sagesse qui conduit à la vie et au bonheur, d’une fidélité lucide qui connaît le prix de ses choix. Le Seigneur nous avertit, ‘si on y met le bras, tout le reste du corps risque de passer’.
Qui peut donc être disciple? Il y a toujours nos amis, les apôtres, Pierre et tous les autres qui peuvent nous encourager. À travers les hauts et les bas de leur adhésion à Jésus, ils ont finalement tout donné comme Jésus parce que justement Jésus marchait avec eux, parce qu’ils formaient avec lui et entre eux une communauté habitée par une solidarité nouvelle, une communauté habitée par son Esprit. Que notre eucharistie en soit le signe. Amen.
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
sans cesse tu nous invites à te suivre
et à être tes disciples.
Ouvre nos oreilles et notre cœur
afin que nous puissions accueillir ta Sagesse
et mettre nos pas dans les pas de ton Christ,
sans qu’aucune entrave nous retienne.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu,
qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.