18 AOÛT 2022
L'amour doit triompher, coûte que coûte
Comme les textes bibliques du jour sont particulièrement dans une ambiance de colère divine, le frère Raymond Latour, O.P., nous en donne l’explication sans pour autant atténuer la passion rougeoyante qui anime ces enseignements au peuple de Dieu.
LIVRE DU PROPHÈTE ÉZÉKIEL (36, 23-28)
Voici les paroles que dit le Seigneur : « Je sanctifierai mon grand nom, profané parmi les nations, mon nom que vous avez profané au milieu d’elles. Alors les nations sauront que Je suis le Seigneur – oracle du Seigneur Dieu – quand par vous je manifesterai ma sainteté à leurs yeux.
Je vous prendrai du milieu des nations, je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair.
Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères : vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu. »
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (22, 1-14)
En ce temps-là, Jésus se mit de nouveau à parler aux grands prêtres et aux anciens du peuple, et il leur dit en paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : “Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.” Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.” Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce. Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.”
« Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Homélie
Le prophète Ézéchiel, entendu en première lecture nous accompagne encore jusqu’à samedi. Ses auditeurs ont dû se demander à quelques reprises s’il n’avait pas mangé de la vache enragée. Mais non, c’est la parole de Dieu qu’il a dévorée et depuis, il s’est mis à parler à la maison d’Israël, sans aucun ménagement.
Visions d’extermination, annonces de déportation et oracles de malédiction se sont succédées : « vous pourrirez dans vos péchés et vous gémirez tous ensemble », prévient-il. Et s’il advenait que des paroles de consolation sortent de sa bouche, elles étaient souvent assorties de menaces, genre : « Dans ton déshonneur, tu n’oseras pas ouvrir la bouche quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait –oracle du Seigneur ».
Le prophète n’y va pas de main morte pour pourfendre l’orgueil du peuple, et hier encore les bergers chargés de le conduire.
Mais à travers cette véhémence, l’amour du Seigneur trouve à s’exprimer. C’est un amour rageur. Par exemple, c’était hier, après avoir dénoncé les bergers qui ne s’occupent pas du troupeau, le Seigneur fait cette promesse : « Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis, et je veillerai sur elles ». Le thème est constant : malgré l’infidélité qu’il observe, le Seigneur, lui, reste fidèle, parce que justement, il est le Seigneur, comme le scande Ézéchiel tout en laissant entendre le frémissement d’une épée.
Ézéchiel n’est pas un prophète pour les tendres. Aujourd’hui et demain, nous proclamons deux de ses passages les plus célèbres. Je ne puis m’occuper que de l’oracle sur le cœur et l’esprit nouveau. Celui de demain sur les ossements desséchés est de la même eau. Curieusement, quand nous les lisons, nous avons tendance à les aplatir, à les neutraliser, à les adoucir, à les édulcorer. Ils perdent toute leur charge sinon de colère, du moins de passion. Notre sensibilité nous empêche parfois de recevoir la parole de Dieu avec toute la fougue qu’elle comporte.
Ézéchiel semble n’avoir d’empathie que pour le Seigneur. Il a intériorisé le péché du peuple et ne se prive pas de lui dire son fait, avec une parole aussi dure que le cœur de pierre qu’il entend briser. Il n’est plus maître de lui-même, la parole de Dieu le domine.
Le prophète affirme avec force l’intention du Seigneur. Il veut un peuple saint. C’est son projet depuis toujours et ce n’est pas le péché du peuple qui s’étale devant lui avec toute son insolence qui le détournera de sa résolution. Ce serait bien mal le connaître! Et voilà que le Seigneur, par la voix de son prophète énonce son projet. Sa voix n’a rien de caressante. Un peu plus et Ézéchiel placerait un juron au milieu de sa prophétie! Le ton est à la défiance. Vous verrez bien qui est le plus fort! Dieu, dans son amour jaloux, ne renonce pas. Le peuple s’est sali au contact des idoles : tant pis, il le nettoiera, vigoureusement. Le peuple a fait la dure oreille aux appels de conversion : qu’à cela ne tienne, Dieu aura recours à la manière forte, il extirpera ce cœur de pierre pour le remplacer par un cœur de chair! Le peuple se montre incapable de suivre les lois, de garder les préceptes?
Encore là, de gré ou de force, le Seigneur lui injectera son esprit pour le réduire à l’obéissance. Son amour finira par s’imposer : « vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu », déclare le prophète. Demain, nous l’entendrons encore rager contre ce peuple qui a préféré la mort à la vie : à ces ossements desséchés, Dieu insufflera sa vie!
En Jésus, doux et humble de cœur, Dieu arrivera à ses fins : il sera véritablement le Pasteur de son peuple, il le purifiera par les eaux du baptême et lui donnera une vie nouvelle.
Le prophète Ézéchiel le proclame haut et fort : contre le mal et le péché, jamais le Seigneur n’acceptera la défaite, jamais il ne se résignera à la perte de son peuple. Il est le Seigneur!
On retrouve la même obstination dans la parabole de l’évangile. Comme il s’agit d’une parabole, l’évangéliste ne se prive pas de montrer à gros traits la colère du roi dont l’invitation a été bafouée. Violence des invités. Violence du roi.
Proportionnée ou non, je vous laisse en juger. Le but de la parabole était sans doute de faire comprendre combien le roi était atteint par cet affront, mais surtout comment son invitation d’abord adressée à des gens aux vies saturées a pu combler le tout-venant, bon ou mauvais, qui avait quelque disponibilité pour prendre part au festin.
Malheureusement, l’ire du roi a encore été déclenchée par un des convives qui n’a pas eu la délicatesse d’ajuster sa tenue à l’événement. Le commentaire laconique « beaucoup sont appelés, mais peu son élus » n’explique en rien la sévérité du roi. On se croirait chez Ézéchiel et peut-être n’en sommes-nous pas très loin. L’évangéliste, à la différence du prophète, ménage un certain espace à la liberté. Dans les deux cas, l’intention est claire : l’amour doit triompher, coûte que coûte.
Fr. Raymond Latour, O.P.
PRIÈRE
accorde-nous de conformer à ta volonté
nos paroles et nos actes
dans une inlassable recherche des biens spirituels.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu,
qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.