Homélie, dimanche de la 8ème semaine du Temps ordinaire

2 mars 2025

Tout est dans le regard

En ce 35e anniversaire de la Messe des Nations, le frère André Descôteaux, O.P., nous invite à nous réjouir avec Dieu de la diversité de sa création humaine et à imiter son regard de tendresse envers tous.

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Homélie

Trente-cinq ans ! Depuis 1990, nous célébrons devant Dieu la belle diversité que nous sommes et lui en rendons grâces. Avec nos langues, que j’ai plutôt massacrées au début de la célébration, avec nos drapeaux, nos costumes nationaux, avec tout ce que nous sommes, nos apparences physiques, la couleur de nos peaux, la texture de nos cheveux, nous nous plaçons tous et toutes sous le regard bienveillant de Dieu ! Dieu, en nous regardant, doit se réjouir d’avoir créé une humanité si diverse, une humanité si riche. Cette richesse n’est-elle pas à l’image de sa richesse à lui ? N’est-elle pas l’expression de son amour ? Dieu voit l’humanité comme un magnifique jardin où chaque nation, chaque ethnie, chaque pays apportent sa couleur à la beauté de l’ensemble. Certains se sont adaptés dans les froids du Grand Nord, d’autres dans la chaleur humide de la brousse ou dans la sécheresse torride des déserts ou encore dans les climats tempérés ou près de la mer ou dans les hauteurs des montages. Tous et toutes en s’adaptant à leur environnement ont créé des coutumes, des pratiques, voire des langues. Et Dieu vit que cela était bon.

Le regard de Dieu est un regard de vie, un regard de bonté, un regard qui voit tous ses enfants rassemblés dans l’unité de sa maison.

Mais Jésus, ce soir, dans l’Évangile, nous le rappelle : notre regard est loin d’être celui de Dieu. Il nous ramène à nous-mêmes, au regard que nous portons sur les autres et sur nous-mêmes. « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Hypocrites ! »

Jean de la Fontaine, ce fameux fabuliste du XVIIe siècle, écrit dans une de ses fables :

« Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes
on se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
nous créa Besaciers (porteurs d’une besace) tous de même manière,
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui ».

On voit bien la besace du devant avec les défauts d’autrui, mais celle de derrière, avec les nôtres, est pour nous invisible !

Alors que nous pouvons nous illusionner sur nous-mêmes et être de terribles juges pour les autres, notre regard peut même se réjouir du mal des autres. Je ne sais pas si vous connaissez Félix Leclerc. Il est l’un des premiers chansonniers québécois avant Gilles Vigneault. Je me souviens du refrain d’une de ses chansons :

Attends-moi, Ti-gars.
Tu vas tomber si j’suis pas là.
Le plaisir de l’un
C’est d’voir l’autre se casser l’cou.

Nous sommes bien loin du regard bienveillant, du regard qui accueille. Mais, malheureusement, ce regard peut même devenir un regard qui sème la mort. Je suis toujours bouleversé quand je lis dans les médias qu’un jeune s’est ôté la vie parce qu’on a publié sur les médias sociaux des photos compromettantes accompagnées de légendes pernicieuses ou de propos diffamants.

Pourquoi cette méchanceté du regard ? Pourquoi des gens ordinaires posent-ils un regard de mépris ou de haine sur les personnes réfugiées, sur les personnes qui ne demandent pas mieux que de rebâtir leur vie dans un nouveau pays, de fonder une famille, de contribuer à leur pays d’accueil et ainsi d’améliorer leur sort ? Pourquoi ce regard malveillant ?

Dimanche dernier, Jésus nous demandait d’être miséricordieux comme Dieu, notre Père, est miséricordieux. Ce soir, il nous invite à regarder les autres comme Dieu regarde chacun de ses enfants. Au début de l’homélie, j’ai évoqué la joie de Dieu quand il pose son regard sur l’humanité dans la richesse de sa diversité. J’aimerais poursuivre en contemplant le Christ qui au lieu de poser un regard réprobateur sur le pécheur vient, au contraire, vers lui et l’enveloppe d’un regard de miséricorde, de tendresse et de vie. Jamais il ne se réjouit de notre mal. Jamais il ne nous y enferme. Il ouvre une porte de secours ! Alors que nous pouvons avoir de la difficulté à nous regarder nous-mêmes, il est celui qui relève, qui nous libère du poids de notre culpabilité et de notre honte pour nous inviter à poursuivre notre route à sa suite. « Va, prends ton grabat, lève-toi et marche ! » Le regard du Christ est celui du Père que nous contemplerons dans quelques semaines qui, chaque soir, du haut de la colline, attend désespérément son fils égaré. Il scrute l’horizon pour voir si enfin il a repris le chemin de la maison. Un regard qui ne cesse jamais d’espérer ! N’est-ce pas ce Père et son regard que nous sommes appelés à redécouvrir dans la période du carême qui commence cette semaine ?

Allons plus loin, en suivant saint Paul, cette fois. Celui-ci, dans la deuxième lecture, nous dévoile comment Dieu ultimement nous voit. « Au dernier jour, cet être périssable que nous sommes aura revêtu ce qui est impérissable, cet être mortel aura revêtu l’immortalité, enfin la mort sera engloutie ! Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ ! » Dieu voit déjà ce à quoi il nous destine : des êtres transformés, transfigurés, des êtres partageant sa vie en plénitude, son Esprit d’amour et sa gloire. Comme dit saint Irénée « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! »

Voir la vie, voir les autres avec le regard de Dieu. N’est-ce pas cela une foi bien vivante, concrète, qui s’enracine dans un cœur bon, comme l’observe le Seigneur ? « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ». Voir l’existence des autres à travers un nouveau prisme. Quand la lumière passe dans un prisme, elle se décompose et nous donne toutes les nuances de l’arc-en-ciel. Regarder les autres comme le Père, avec les yeux de la foi, c’est d’abord cesser de se réjouir de leur mal et, positivement, voir toutes leurs richesses. C’est aussi souhaiter qu’ils s’engagent sur le chemin de la vie et de la vie en plénitude en vue de la destinée de gloire où nous serons tous rassemblés dans la diversité de ce que nous sommes.

Alors que, dans cette eucharistie, nous partagerons le pain et le vin, comme le Seigneur nous l’a demandé, regardons bien le pain : il est composé d’une multitude de grains. Regardons bien la coupe de vin, le vin est obtenu à partir d’une multitude de raisins. Ce pain et ce vin deviendront par l’Esprit ce que nous sommes, le Corps du Christ formé d’une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants, de peuples, de races, de pays. En lui, toute notre diversité, toutes nos richesses, sont intégrées et trouvent leur accomplissement. Que Dieu en soit béni ! Amen.

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Nous t’en prions, Seigneur :
accorde-nous de vivre dans un monde
où les événements se déroulent selon ton dessein de paix,
et où ton Église connaisse la joie de te servir dans la sérénité.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.