Homélie, dimanche de la Pentecôte

19 mai 2024

Esprit de mission et de persévérance

En ce dimanche de la Pentecôte, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous invite à constater les actions et les dons de l’Esprit, des débuts de la chrétienté jusqu’à aujourd’hui, pour soutenir les chrétiens dans leurs efforts d’évangélisation.

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Homélie

Pour bien saisir la signification de la fête de la Pentecôte, il importe d’être attentif au lien étroit qui existe entre le don de l’Esprit Saint et la mission d’évangéliser. Cette mission, elle était très ambitieuse. Jésus ne l’avait d’ailleurs pas cachée à ses apôtres : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toutes les nations ». (Mc 16,15) Un tel projet était humainement démesuré. Laissés à eux-mêmes, les apôtres et les disciples pouvaient en effet avoir le sentiment d’avoir à porter un fardeau trop lourd. Seule la conviction du soutien que le Christ Jésus devait leur accorder pouvait leur permettre de s’aventurer dans une mission qui les dépassait. Car comment un groupe restreint de disciples de Jésus pouvait alors prétendre avoir l’énergie et les ressources humaines pour rejoindre les villes et les villages de l’empire romain pour y annoncer l’Évangile ?

Or, à l’occasion de l’événement de la Pentecôte que raconte l’évangéliste Luc, les premiers disciples sont frappés par des signes concrets qui manifestent qu’ils ne sont pas laissés à eux-mêmes dans l’aventure missionnaire. Il y a d’abord le violent coup de vent qui vient leur rappeler l’expérience spirituelle bouleversante de Moïse sur le mont Sinaï. Puis ce coup de vent est suivi de l’irruption des langues de feu qui vont se déposer sur chacune des personnes présentes. Autre phénomène qui émerveille les disciples : des pèlerins provenant de différentes régions de l’empire romain – et qui étaient de passage à Jérusalem – comprenaient les discours des disciples de Jésus. Constat surprenant, car les disciples parlaient en araméen seulement. Signe que le Christ et son message devaient être proposés aux populations de différentes langues et nations.

C’est avec le passage du temps que les apôtres et les disciples ont progressivement saisi la portée extraordinaire de la Pentecôte. Ils ont constaté qu’ils avaient la force de témoigner du Christ Jésus alors même qu’ils rencontraient, et ce de façon régulière, des résistances de la part de personnes et de groupes auxquels ils s’adressaient. Résistances de la part des Juifs d’abord qui refusaient tout ce qui n’appartenait pas à la tradition mosaïque. Résistances aussi de la part des populations qui se rattachaient, elles, au culte religieux officiel de l’empire romain. Fermeture attribuable largement à la pression politique. Dès le départ, la mission d’évangéliser a été très difficile. Les convertis se faisaient peu nombreux malgré les efforts déployés pour révéler le bouleversement que la résurrection de Jésus apportait dans la vision de la destinée de tout être humain. Par exemple, vers l’an 100, les historiens estiment que le nombre de chrétiens ne devait pas dépasser les 10 000 dans l’empire romain. Et cela, sur une population se situant entre 55 et 60 millions d’habitants. Résultat quasi insignifiant. Cette information nous pose question : comment les baptisés de cette époque ont-ils eu le courage et la force de persévérer dans leur volonté de témoigner du Christ Jésus ? Car la petite minorité chrétienne a eu à témoigner pendant trois siècles sans que les résultats soient encourageants. Et ce n’est qu’au IVe siècle, à l’intérieur de l’empire, que la répression politique des autorités impériales a cessé et que le nombre de convertis s’est alors multiplié de façon remarquable. En présence d’un tel phénomène, comment ne pas reconnaître que l’Esprit Saint a soutenu ostensiblement ces générations de chrétiens et chrétiennes ?

À propos de résistance à la vision chrétienne de la vie, j’ai rencontré, en 1990, un vieux missionnaire oblat qui avait vécu près de 40 ans dans le Grand Nord canadien. Il disait avoir été confronté à une résistance tenace à la proposition de l’Évangile. Dans le poste où il vivait habituellement, il y avait une chapelle. Mais ce sont surtout des « blancs du sud », comme on disait à l’époque, qui venaient y célébrer leur foi. Ces blancs étaient des infirmières, des enseignants, des fonctionnaires fédéraux. Lors des célébrations, les Inuits étaient peu nombreux. Et pour cause : au cours de son long séjour dans le milieu où il se trouvait, il n’a pu célébrer que quelques baptêmes d’adulte. Avec le temps, il avait compris que les autochtones ne voyaient aucun avantage à abandonner leurs traditions religieuses pour adopter le christianisme. En revanche, ils étaient ouverts aux technologies venant du sud, car elles amélioraient leurs conditions matérielles de vie. Carabines et fusils pour la chasse au phoque et à différents gibiers, instruments sophistiqués pour la pratique de la pêche, maisons chauffées au pétrole faisaient de plus en plus partie de leur vie quotidienne. Mais, au plan religieux, la résistance demeurait tenace.

Au terme de son ministère dans le Grand Nord, ce missionnaire se disait incapable d’évaluer ce qu’il avait réellement apporté à la population inuite de la région. Il se disait cependant surpris d’avoir pu tenir pendant près de 40 ans sans se décourager. Surpris aussi d’avoir pu vivre dans un tel contexte sans se sentir malheureux. Il est vrai cependant qu’il n’avait pas perdu son temps. Il avait non seulement appris la langue que parlait les Inuits de la région mais avait réussi à élaborer un dictionnaire et une grammaire de leur langue ou dialecte. Il reste que sa ténacité missionnaire paraît difficilement compréhensible sans une référence à la présence active de l’Esprit Saint dans sa vie.

Une telle expérience de résistance à l’accueil du Christ et de l’Évangile, nous la vivons actuellement sur tout le territoire du Québec. Un prêtre du diocèse de Québec engagé pastoralement dans une zone rurale m’avouait dernièrement que le processus de déchristianisation y est très prononcé. Il disait que la pratique religieuse du dimanche rejoignait à peine 1% des baptisés. Il observait que bien des personnes de moins de 50 ans se disent ouvertement « sans religion ». Pourtant, au cœur d’un tel contexte socioreligieux, quelques prêtres, des agentes de pastorale, des bénévoles sont engagés dans des paroisses et des mouvements spirituels. Ils continuent de se tenir debout et de témoigner ouvertement de leur attachement au Christ. La déroute actuelle de l’Église catholique ne les empêche pas de témoigner de leur foi. Comment en sont-ils capables ? Où trouvent-ils la force de chercher à être des évangélisateurs dans un contexte aussi défavorable ? Ne ressemblent-ils pas, d’une certaine manière, aux apôtres et aux premières générations de chrétiens et chrétiennes qui prenaient le risque de témoigner de leur foi ? Ne pouvons-nous pas voir chez eux, chez elles, un signe évident de la présence active de l’Esprit Saint qui ne cesse jamais de les soutenir dans leurs démarches évangélisatrices ?

En rappelant aujourd’hui l’événement de la Pentecôte, nous sommes forcés de reconnaître deux réalités qui ont été présentes dans l’histoire de l’Église : d’une part une fermeture régulière, parfois violente, de la part des populations auxquelles on proposait l’Évangile, d’autre part une capacité renversante des chrétiens et chrétiennes de témoigner explicitement de leur foi. Dans cette dynamique missionnaire, l’Église a souvent été confrontée à l’échec. Il reste que les forces de la lumière n’ont jamais été totalement étouffées par les forces des ténèbres. Il y a eu des rebondissements, des réveils religieux, des vagues de chrétiens et chrétiennes qui se sont engagés à faire connaître la Bonne Nouvelle. D’ailleurs, même présentement, alors que nous assistons, dans les pays occidentaux, à un déclin réel du christianisme, nous devons reconnaître que des communautés chrétiennes continuent de naître et de se développer dans plusieurs autres régions du monde. L’Esprit Saint continue donc de se manifester mystérieusement. Pour cette raison, nous devons vivre dans la confiance et savoir tendre l’oreille aux paroles de Jésus ressuscité : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». (Jn 20, 21)

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
dans le mystère de la fête que nous célébrons aujourd’hui,
tu sanctifies ton Église entière chez tous les peuples
et dans toutes les nations ;
répands les dons de l’Esprit Saint sur l’immensité du monde,
et continue dans le cœur des croyants
l’œuvre divine
entreprise au début de la prédication évangélique.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.