Homélie, Vendredi Saint B

29 mars 2024

Prendre position

En ce Vendredi saint, jour de commémoration de la Passion du Seigneur, le frère Daniel Cadrin, O.P., regarde avec nous la diversité des personnages qui entourent Jésus dans ses derniers moments, auxquels nous pouvons nous identifier et qui nous font réfléchir sur notre position face à ce grand mystère.

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Homélie

Le récit de la Passion nous présente un homme, Jésus, condamné injustement par une coalition de forces. Autour de ce juste, plusieurs figures prennent position, depuis l’appui jusqu’à l’hostilité, en passant par l’indifférence et l’inconstance. Dans ces réactions, nous pouvons retrouver la diversité et la complexité de notre condition humaine, avec ses fragilités et ses dons, ses aveuglements et ses ouvertures.

Nous pouvons ainsi nous reconnaître dans ces figures. Nous faisons partie du drame qui continue de se dérouler. Comme nous en connaissons le dénouement, nous le croyons résolu, mais il poursuit son travail en nous, celui de la Parole. Quels visages voyons-nous, quelles voix entendons-nous, dans ce drame antique et actuel ?

Il y a des figures paradoxales :

– Des disciples qui ont partagé le repas avec Jésus, qui ont prié avec lui, puis qui disparaissent du décor. Très vite, envolés, enfuis, en fuite.
– Pierre, qui d’abord réagit avec une arme, protecteur de Jésus ; puis Pierre, le roc, qui s’effrite : trois fois, il renie Jésus, se conformant à la foule, sans courage.
– Pilate, le gouverneur, qui voit bien les manœuvres, qui est capable de s’interroger sur la vérité et qui cherche un autre dénouement avec Barabbas. Mais finalement, il choisit la voie populiste et sans danger (pour lui) : il livre Jésus à ses exécuteurs et à la foule. Et tant pis pour le droit.

Comme en tout drame, il y a les méchants, les adversaires bien actifs, que nous aimons détester ou qui nous fascinent :

– Judas, qui agit pour des motifs obscurs (argent, envie, politique) et qui utilise sa proximité avec Jésus, pour le livrer. Tristesse et laideur de la trahison.
– Hanne, l’ancien grand-prêtre, homme puissant, qui refile Jésus à son beau-fils Caïphe, le grand-prêtre en poste, qui le repasse à Pilate : ils ne prennent pas de responsabilité mais, se cachant sous la Loi, ils s’assurent que Jésus va périr.
– Et leur clique, leur réseau, chefs des prêtres et gardes qui accusent, excitent la foule ; le pouvoir sait comment manipuler pour servir ses intérêts. La foule suit.

Et ces autres figurants (plutôt que figures), individuels ou collectifs, qui jouent leur rôle secondaire mais essentiel au drame :

– Une servante, un serviteur, qui sont curieux et essaient de coincer Pierre ; peut-être sont-ils en stage pour un média, une émission, ramassant du matériel.
– Des soldats, des gardes, qui insultent, frappent, se moquent, avec cruauté : voici les intimidateurs, qui profitent de l’occasion pour donner cours à leur violence, physique et verbale. Toute occasion est bonne.

Certains personnages sont impressionnants :

– Vers la fin du récit, nous voyons quatre femmes, dont trois Myriam, qui se tiennent debout au pied de la croix, fidèles, constantes ; et l’autre disciple, le bien-aimé, modèle du croyant, qui est là alors que les autres se sont enfuis. Et Jésus, dans un dernier geste bienveillant, celui du bon pasteur qui prend soin des siens, confie sa mère et ce disciple l’un à l’autre.
– À la toute fin, deux figures, Joseph d’Arimathie et Nicodème, des notables âgés et respectables, mais qui osent finalement s’afficher comme disciples de Jésus et s’occupent de son ensevelissement. Ils osent sortir de la conformité sociale.

Deux autres personnages sont bien présents dans le récit. Nous ne les voyons pas, mais nous entendons leur voix :

– Le narrateur, qui nous entraîne dans le mouvement de ce drame, de façon profonde et touchante, afin que  » vous croyiez vous aussi « , écrit-il. Vous, i.e. nous, lecteurs – auditeurs, aujourd’hui, appelés à croire.
– Et tout au long de la Passion, explicitement ou indirectement, la voix des Écritures, surtout les Psaumes et les Prophètes, qui s’élève pour commenter, faire des liens, ouvrir des perspectives : Ainsi s’accomplit la Parole. Elle relie et relit les événements. C’est pourquoi, dans la lecture, elle a droit à une voix distincte.

Tant de figures différentes dans ce drame unique. Où sommes-nous, où suis-je, dans ces attitudes et ces gestes, dans ces actions et ces omissions, ces paroles et ces silences ? Et dans nos drames actuels, quelles figures proches ou lointaines pouvons-nous y reconnaître ?

Cette histoire a commencé dans un jardin (Jésus et ses disciples) et se termine dans un jardin (celui du tombeau). Mais elle n’est pas finie : au matin de Pâques, elle se poursuivra dans un jardin où Marie de Magdala va rencontrer un surprenant jardinier.

Le récit de la Passion nous invite à prendre le temps de nous recueillir, quelque part au pied d’une croix; et ces croix ne manquent pas sur nos chemins, aux carrefours des espaces publics et de nos lieux intimes. Nous recueillir pour regarder et accueillir l’inédit, pour entendre et écouter l’inouï : Voici l’homme, l’Adam nouveau, voici la Vérité, celle qui rend libre, voici le Chemin, celui qui mène à la Vie. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu, notre Père,
en ce jour où ton Fils connut les souffrances de la mort,
nous nous tournons vers lui,
Messie crucifié et humble serviteur.
Ouvre nos cœurs pour que nous puissions accueillir
cet amour sans limite.
Accorde-nous ton Esprit
pour que nous marchions à la suite du Christ,
lui qui vit et règne avec toi et le Saint Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.