Homélie, dimanche, 5e semaine du Carême

17 mars 2024

Voir Jésus

Aujourd’hui, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous explique comment l’évangéliste Jean aborde ce désire toujours actuel de voir Jésus, de le rencontrer : par qui passer, qui y a droit et par quels signes.

voir-jesus

Homélie

Aujourd’hui, en ce 17 mars, plusieurs à Montréal vont souligner la fête de saint Patrick, ce moine anglais qui, au 5e siècle, a évangélisé l’Irlande. Son nom évoque le vert mais aussi le sens de la mission et les déplacements, la communication et les réseaux pour annoncer Jésus et sa Bonne Nouvelle. En Jean, en ce 5e dimanche du Carême, voici que des Grecs veulent voir Jésus. Ils s’adressent à Philippe, disciple de Jésus. Et là commence une sorte de relais, assez étrange. Philippe en parle à André. Puis, les deux vont le dire à Jésus. Et celui-ci, au lieu de regarder son agenda pour voir à quel moment il pourrait rencontrer ces Grecs, se lance dans un discours théologique : il parle du Fils de l’homme, de l’heure venue, du grain qui meurt, de la gloire, du jugement. Et même une voix du ciel s’en mêle. Ces Grecs ont dû peut-être se dire : « Mais on voulait juste le rencontrer ! Finalement, on peut le voir ? ».

Mais nous sommes ici dans l’évangile de Jean ; et ce qui peut sembler du coq-à-l’âne est en fait plus cohérent et riche de sens que ce regard plus immédiat. Oui, il s’agit de voir Jésus, d’avoir accès à lui, aujourd’hui comme hier. Voir Jésus : une requête toujours actuelle, autour de nous, en nous. Que nous dit Jean là-dessus ?

D’abord que l’accès à Jésus passe par ses disciples, comme si la bonne nouvelle ne pouvait passer que par des témoins personnels, de personne à personne, une sorte de relais de l’expérience croyante, passant par ceux et celles qui croient en Jésus et le suivent. L’accès à Jésus passe aujourd’hui encore par ces réseaux. Car cette bonne nouvelle n’est pas d’abord une idée, un programme, mais quelqu’un, qui fait entrer dans une communion fraternelle. Les liens personnels se trouvent autant aux débuts de la quête de Jésus qu’à son terme.

Ensuite, cet accès à Jésus est pour tous, car il s’agit ici de Grecs adorateurs, de païens proches du judaïsme ; le cercle s’élargit au-delà du monde juif. Il n’est pas surprenant que ce texte se termine par l’affirmation de l’universalité de la croix, où Jésus, élevé de terre, attirera à lui tous les hommes. La croix, plantée en terre, entre terre et ciel, comme réalité et symbole de convergence, de grand rassemblement. Cela est encore plus vrai aujourd’hui où la foi en Jésus est partagée par des personnes de tous les continents, dans une communion plus universelle, plus variée dans sa rencontre des cultures, qu’elle ne l’a jamais été dans l’histoire.

La réponse de Jésus à cette demande d’une rencontre peut sembler étonnante. Dans ses paroles, elle n’offre pas un contact immédiat avec lui. Il est question plutôt de l’heure venue, celle de la glorification du Fils de l’homme, et du grain de blé qui meurt et porte fruit. Face à la demande de voir Jésus, un signe est proposé, celui de la croix, celui du mystère pascal, dans son mouvement de don, de la mort à la vie. Un signe à contempler : Vous voulez voir Jésus ? Regardez la croix, c’est là qu’il se donne à voir en vérité. Mais un signe non seulement à contempler mais aussi auquel participer de l’intérieur, dans lequel entrer pour vraiment voir Jésus. Car pour le voir, il faut aussi le suivre.

Suivre Jésus, c’est entrer dans ce même mouvement, qui renverse les valeurs habituelles : celui qui aime sa vie la perd, celui qui s’en détache la garde. L’engagement à la suite de Jésus appelle à entrer dans une nouvelle dynamique, faite de risque et de décentrement de soi. S’accrocher à soi, par peur de se perdre, mène au contraire à la perte de soi. Alors que la logique du don de soi, paradoxalement, conduit à une vie abondante. Voir Jésus, puis le suivre : il s’agit là d’un être-avec, jusqu’au bout, jusqu’au fruit abondant, car là où je suis, dit Jésus, sera aussi mon serviteur.

Mais aussi, nous dit Jean, cette communion à la croix et à la gloire du Christ inclut le passage par le moment de trouble, par l’hésitation à aller plus loin. Jésus lui-même est passé par là : devant cette heure venue, il est bouleversé. Il est tenté de fuir cette heure, cette ultime confrontation. Puis il se ressaisit et choisit résolument de faire face. On retrouve ici en Jean des éléments que les autres évangiles ont mis dans la scène de l’agonie au jardin des Oliviers. La fête de Pâque se rapproche ; et la pâque de Jésus aussi.

Si Jésus lui-même a dû traverser ce moment de trouble intérieur, nous n’avons pas à nous étonner de nos propres périodes d’incertitude et d’hésitation devant des choix à faire. Il n’y a pas à en être gêné, comme si cela disait un manque de foi. Ces passages douloureux font partie du mouvement pascal, de la dynamique du don. Dans les temps de crise, mieux vaut les reconnaître et nommer, pour mieux les traverser et avancer jusqu’au bout. Aucune technique spirituelle ne peut nous assurer une traversée de la nuit qui serait plaisante ou rapide. La croix reste plantée en terre, dans notre terre.

Voir Jésus : l’évangile de Jean nous fournit finalement plusieurs pistes pour continuer cette quête. La fête de Pâques approche. Pour nous aussi. Jean nous invite à nous y préparer de l’intérieur : dans le regard qui contemple un signe enraciné et élevé, entre terre et ciel ; et dans l’accueil d’un mystère de mort et résurrection, comme un grain de blé tombé en terre qui donne beaucoup de fruit. Et suivre Jésus, c’est avoir souci de tous ceux et celles qui sont en quête de paix et de justice et entrer dans une dynamique du partage et du don. Aujourd’hui, en ce dimanche de la solidarité, nous sommes invités à participer à la collecte du Carême de partage, Solidaires pour la Terre, en soutien à Développement et Paix. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

 

PRIÈRE

Viens à notre secours, Seigneur Dieu,
accorde-nous de marcher avec joie dans la charité de ton Fils
qui a aimé le monde jusqu’à donner pour lui sa vie.
Lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.