Homélie, dimanche, 5e semaine du Carême

17 mars 2024

Faut-il aimer l'Église...

En ce dimanche soir, le frère Yves Bériault, O.P., nous propose de réfléchir ensemble sur l’état actuel de l’Église, cette communauté et cet héritage avec ses hauts et ses bas, qui nous a tout de même transmis le message de la Bonne Nouvelle et de l’Amour de Dieu et de son Christ.

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Homélie

Permettez-moi à la suite de la visite dimanche dernier du pasteur de notre Église de Montréal, Mgr Christian Lépine, de mettre de côté les textes de ce dimanche pour vous parler de l’Église. Pour la plupart d’entre vous qui êtes encore assez jeunes, votre expérience de l’Église est sans doute assez récente, et je suis toujours agréablement surpris de voir des jeunes se rassembler pour l’eucharistie et faire communauté ensemble.

C’est quand même assez paradoxal, car notre Église est quand même malmenée et vit des temps difficiles dans nos sociétés. Et pourtant, vous voilà. Je vous propose donc ce soir que nous nous fassions une tête et un cœur en ce qui concerne cette Église qui nous a fait connaître Jésus et sa bonne nouvelle.

Mon homélie se veut à la fois un acte de résistance et d’encouragement, de même qu’un acte de foi alors que c’est le pape Paul VI qui disait que l’on ne peut vraiment aimer le Christ sans aimer l’Église. C’est pourquoi je voudrais vous faire entendre en ce dimanche un appel pressant à redécouvrir la grande richesse de notre héritage chrétien et, plus encore, l’immense bonheur de suivre le Christ tous ensemble.

Dans la vingtaine, jeune converti, je me souviens que l’une de mes grandes découvertes, alors que je commençais à connaître des chrétiens et des chrétiennes de tous horizons, de plusieurs pays, je constatais que la même foi que la mienne les faisait vivre, qu’ils éprouvaient le même amour pour le Seigneur.

Je découvrais une réalité mystérieuse à l’œuvre partout dans le monde, où des hommes et des femmes, sans se connaître, vivaient d’une même communion de foi en Église. Ce fût là pour moi une découverte incroyable, et qui ne faisait que me confirmer dans ma foi en Jésus Christ, foi que je pouvais partager avec d’autres, d’où qu’ils soient. Et n’est-ce pas là l’expérience que certains d’entre vous font présentement.

Devant la crise que traverse notre Église avec sa baisse des vocations, sa baisse des fidèles, les assauts violents contre elle dans les médias, mais aussi les abus de la part de certains de ses membres, et c’est ce qui fait le plus mal, il nous faut nous poser la question suivante, que certains d’entre nous se sont sûrement déjà posés : vais-je rester ou partir ?

J’ai beaucoup porté cette question en me demandant ce que je pourrais apporter comme raisons de rester à ceux et celles qui sont dans le doute, qui hésitent, ou qui sont blessés. Voici ce que j’aimerais leur dire.

Tout d’abord, depuis que je suis croyant, j’ai toujours aimé l’Église, mais il faut voir plus large que l’institution. Je veux parler de la force de résurrection qui s’est emparée des premiers témoins, de cette Église Mère, née au pied de la croix, avec la Vierge Marie et l’Apôtre Jean, et qui s’est vue propulsée aux quatre coins du monde avec l’avènement de la Pentecôte.

C’est cette Église, avec ses premiers fidèles rassemblés à Jérusalem, qui nous a annoncé la résurrection du Christ au matin de Pâques, qui nous a rappelé les paroles et les actions de Jésus à travers des lettres et des récits évangéliques, avec ses figures inoubliables que sont les Marie-Madeleine, les apôtres Pierre et Paul, Tite et Timothée, et combien d’autres dans les générations qui suivirent.

Ce sont ces premières générations de témoins qui nous ont transmis le baptême et l’eucharistie, qui nous ont légué les mystères de la foi et qui nous ont dit que Dieu est amour. Sans ces témoins au fil des âges, rien de tout cela ne nous serait parvenu. Ni les Évangiles, ni les grands textes d’un saint Paul, d’un Jean de la Croix ou d’une Thérèse d’Ávila, ni les témoignages d’un François d’Assise, d’une Thérèse de Lisieux, ou encore l’engagement parmi les pauvres avec l’abbé Pierre, sœur Emmanuel auprès des chiffonniers d’Égypte, Mgr Oscar Romero au Salvador, mère Teresa de Calcutta. La liste est sans fin. Et que dire du rôle de l’Église à travers les siècles dans la création des hôpitaux, des écoles et des œuvres de toutes sortes au service des plus nécessiteux.

Sans l’Église, la bonne nouvelle de Jésus Christ ne nous serait jamais parvenue si des hommes et des femmes ne s’étaient mis à sillonner la Palestine et les côtes de la Méditerranée avec l’incroyable nouvelle du matin de Pâques. Il n’y aurait jamais eu personne pour nous dire combien nous sommes aimés de Dieu et combien nous sommes faits pour la vie et non pas pour la mort.

Sans l’Église, pas d’école de la prière, ni Pater Noster, ni Ave Maria. Nous serions tous orphelins de la Parole de Dieu. Nous n’aurions ni cathédrales, ni monastères, ni églises où nous recueillir et célébrer la vie et faire communauté.

Le mystère de l’Église à travers les siècles et les millénaires s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes qui n’ont cessé de vivre leur foi en donnant tout d’eux-mêmes et dont la prière mystérieusement nous accompagne.

Et que dire de l’héritage de la beauté que le christianisme nous a légué à travers la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, le chant choral, l’art de l’icône et du vitrail, l’apport des mystiques et des saints et des saintes. L’héritage est immense, frères et sœurs, mais il est avant tout et surtout spirituel : c’est le don du fils de Dieu lui-même à notre monde que l’Église est appelée à annoncer et à nous donner d’en vivre! Et cet héritage, il est pour nous aujourd’hui, et pour chacun des jours de nos vies.

Bien sûr, l’Église nous paraît parfois bien fragile, trop humaine même, et pourtant elle porte en elle-même un mystère capable de sauver le monde, une vie à la fois, chaque fois qu’une personne met sa foi dans le Christ ressuscité. Voici un bref témoignage en ce sens.

Il s’agit du prêtre orthodoxe Alexandre Men, figure prophétique en Union soviétique, qui a fait l’expérience d’une Église persécutée, réduite à sa plus simple expression. Il fut assassiné en 1990, alors qu’il se rendait célébrer la liturgie dominicale.

La veille de sa mort, le 8 septembre 1990, il affirmait dans une conférence : « Le christianisme n’en est qu’à ses débuts. Son “programme”, appelons-le ainsi, est prévu pour des millénaires… Le christianisme est ouvert sur tous les siècles, sur le futur, sur le développement de toute l’humanité. C’est pourquoi il est capable de renaître constamment. Au fil de son histoire, il peut traverser les crises les plus pénibles, se trouver au bord de l’extermination, de la disparition physique ou spirituelle, mais à chaque fois il renaît. Non pas parce qu’il est dirigé par des personnes exceptionnelles – ce sont des pécheurs comme tout le monde —, mais parce que le Christ lui-même nous l’assure : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20). Le Seigneur n’a pas dit : “Je vous laisse tel ou tel texte, que vous pouvez suivre aveuglément.” […] Non, le Christ a dit : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde.” Il n’a pas parlé de quelques écrits, de Tables de la Loi, de certains signes et symboles particuliers. Il n’a rien laissé de tel, mais il s’est laissé lui-même, lui seul. »

Frères et sœurs, voilà la grâce que l’Église nous annonce et nous donne en partage. Que ce soit là notre joie ! Amen.

Fr. Yves Bériault, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu qui as réconcilié avec toi toute l’humanité
en lui donnant ton propre Fils,
augmente la foi du peuple chrétien,
pour qu’il se hâte avec amour
au devant des fêtes pascales qui approchent
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.