Homélie, samedi, 5ème semaine du Carême

1er avril 2023

Il pardonne l'agresseur et il devient la victime

Aujourd’hui, le frère Mateus Domingues da Silva, O.P., à travers ses réflexions philosophiques, nous fait nous rendre compte que la justice de Dieu n’est vraiment pas la même que la justice humaine.
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Homélie

La fin tragique de Jésus, d’après le quatrième évangile, comporte certains détails qui donnent à penser. En 11, 4-5 on nous dit que « Cet homme accomplit un grand nombre de signes. Si nous le laissons faire, tout le monde va croire en lui, et les Romains viendront détruire notre Lieu saint et notre nation ». Aux versets 49-50, c’est Caïphe qui prophétise en donnant un sens à la fin tragique de la vie de Jésus.

Le cas de Caïphe (voir verset 51) me perturbe : en voulant condamner Jésus, sans le savoir, il prophétise, c’est-à-dire qu’il devient porte-parole de Dieu. De plus, la conséquence en est qu’une erreur est en train d’être faite : pour sauver une collectivité, il faut la mort d’un seul homme – un innocent. On est confronté à une injustice.

Certes, il faut saisir les choses selon la perspective des victimes. C’est là la source de tout engagement pour un monde moins injuste et plus humain. D’un autre point de vue, être victime d’une chose qu’on considère injuste nous pousse à réclamer justice. C’est comme ça que la solidarité, l’indignation et la transformation sont possibles. Pourtant, l’élément perturbateur, c’est que les premiers chrétiens ont saisi, à partir de l’expérience de Jésus, que les choses sont plus compliquées que le dualisme coupable-innocent ou juste-injuste. À la fin, nous tous sommes des coupables.

Cependant, la nouvelle perspective réellement inaugurée est autre : Dieu est solidaire des injustes. On peut même affirmer que Dieu est injuste et qu’il se moque de la justice. Ou, de façon moins radicale, on peut se mettre d’accord que Dieu n’est pas exactement juste du point de vue de la justice humaine. Par exemple, il agit avec les justes et les injustes de façon égalitaire. (Bien sûr, on peut croire à la justice divine, mais c’est toujours compliqué de savoir exactement jusqu’à quel point cette justice, objet de la foi, ne serait qu’une projection humaine et une expectative trop humaine de sens et de rétribution.) Mais, si on se base sur la fin tragique de Jésus, Dieu est injuste, car il offre celui qui est le juste par excellence, Jésus lui-même, à la place de ceux qui sont les vrais injustes pour les justifier.

Dieu n’est donc pas justicier, mais plutôt justifiant. Il rend juste celui qui ne l’était pas.

Si Dieu est injuste et s’il fait option pour les coupables, il se fait victime. Si je disais que nul n’est victime et innocent, sous une autre considération, c’est exactement l’inverse : à la fin, nous sommes tous des victimes.

Ces réflexions peuvent conduire à reconnaître qu’il n’y a rien de binaire ou de dual dans la réalité des choses. Dieu est en toute chose, en toute activité et dedans chaque personne – même ceux dont les esprits sont pleins d’« injustice ».

Ça reste perturbateur : Dieu est-il présent et actif en tout ce négatif ? Oui, j’insiste, mais pas en tant que cause, si l’on peut dire. À la fin, Dieu est celui que sans cesse nous condamnons et excluons en écrasant d’autres êtres humains, en les asservissant, en les exploitant, en les jugeant. Dieu est blessé chaque fois que l’on blesse quelqu’un d’autre. Il a voulu, par Jésus, épouser le sort de victimes – il pardonne l’agresseur et il devient la victime.

Tout cela, c’est pour nous faire renaître à une vie nouvelle dans laquelle tout est réintégré. Tous, nous prophétisons, comme Caïphe.

Concluons : la gratuité du don de Dieu, loin de s’installer dans nos médiocrités, nous invite à imiter Dieu dans nos relations avec les autres – au-delà de tout binarisme.

Fr. Mateus Domingues da Silva, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
de tous ceux à qui tu as donné de renaître dans le Christ,
tu as fait une descendance choisie, un sacerdoce royal ;
accorde-nous de vouloir ce que tu commandes
et de pouvoir l’accomplir,
afin que le peuple appelé à l’éternité
ait une même foi dans le cœur,
une même charité dans l’action.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi, dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.