Homélie, 7ème dimanche du Temps Ordinaire

19 FÉVRIER 2023

Oser l'idéal du Christ : aimer comme le Père

Aujourd’hui, en cette Messe des nations où nous célébrons la diversité humaine, le frère André Descôteaux, O.P., se questionne sur cette perfection du Père que Jésus nous demande d’atteindre et de représenter en tant que disciple: est-ce un idéal irréalisable ou quelque-chose que l’amour du Père, Jésus lui-même et l’Esprit Saint accomplissent en nous?
homelie

Homélie

« Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait! » Tout un idéal! Je comprends très bien qu’il faut de l’idéal surtout quand on est jeune, comme vous. Selon un sage dont j’ai oublié le nom : « On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années, on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Les années rident la peau; renoncer à son idéal ride l’âme ». Mais de là à être parfait comme Dieu, le Père céleste, il y a une marge. Il faut quand même que l’idéal soit réalisable! À quoi peut bien penser Jésus en fixant la barre si haute?

Que peut bien signifier être parfait? La première image qui m’est venue à l’esprit est celle de la dictée. Dieu sait qu’à l’école, j’en ai fait des dictées. Une dictée est parfaite quand elle est sans faute! Quand j’avais 10 sur 10, la maîtresse collait sur ma copie un petit ange! J’ai encore mon premier cahier avec des étoiles et des petits anges! Être parfait serait donc être sans faute. Pas trop encourageant quand on est lucide sur soi-même!

Allons plus loin, car la perfection, me semble-t-il, est quand même plus qu’être sans faute. Pensons par exemple à ces disciplines olympiques où la performance est jugée sur la qualité de l’exécution, comme le patinage artistique, le plongeon, le ski acrobatique ou la gymnastique. Certes, les participants sont pénalisés pour chaque faute commise, mais la note finale tient compte d’autres facteurs. Souvenez-vous l’an dernier de la performance du couple français en patinage artistique, aux Jeux olympiques d’hiver, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron. Il y avait beaucoup plus que l’absence de fautes: une élégance, une harmonie, une esthétique, une simplicité, une grâce, un ravissement. Avec de tels athlètes, nous sommes transportés bien au-delà du sans faute.

N’est-ce pas à une telle perfection que le Seigneur nous invite? Il vient d’instruire ses disciples sur ce que devrait être la Loi nouvelle qu’il propose. « On vous a dit » « et bien moi, je vous dis ». Nous demande-t-il d’être des athlètes de la pratique de la Loi nouvelle? De fait, à regarder ce qu’il exige, en particulier au sujet de l’amour des ennemis, j’ai l’impression que c’est comme nous demander d’exécuter un plongeon de la tour de 20 mètres, triple saut périlleux arrière avec une vrille en position carpée, coefficient de difficulté infini. Je crains bien que, dans mon cas, le tout se terminerait par un immense splash dans la piscine.

J’ai l’impression de m’enfoncer. Appelons à l’aide l’évangéliste Luc, car il reprend l’invitation du Seigneur, mais en la transformant. En effet, nous lisons dans son Évangile : « soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux ».  Malgré cette nuance, les deux évangélistes ne sont pas très éloignés l’un de l’autre. En effet, Jésus, en saint Matthieu, justifie ses demandes d’amour des ennemis par le fait que Dieu « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ». Dieu est Père. Il aime tous ses enfants, quels qu’ils soient. La perfection aurait donc un lien avec la miséricorde, avec l’amour de Dieu qui ne met pas de limite. Il inclut même les méchants. N’est-ce pas d’ailleurs tout le but de ce long enseignement de Jésus : ne pas mettre de limite à notre bonté, notre amour, notre miséricorde? Mais est-ce possible? Est-ce un idéal atteignable?

Un petit mot, dans la demande même du Seigneur, nous permet de répondre ‘oui’. C’est le mot ‘comme’. « Être miséricordieux ou être parfait, comme le Père ». Selon les savants exégètes, le mot ‘comme’ ne signifie pas seulement la ressemblance, mais peut être rendu de la manière suivante : « Vous donc, soyez parfaits de la perfection même de votre Père céleste ». « Soyez miséricordieux de la miséricorde même de votre Père ». Si nous pouvons aimer comme le Père c’est parce que l’amour du Père nous habite déjà. Si nous pouvons être miséricordieux, c’est parce que Dieu nous rend miséricordieux. N’est-ce pas ce qu’affirme saint Paul dans la deuxième lecture? « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous? »

Dans le Christ Jésus, la perfection de Dieu, son amour inépuisable, est entrée dans notre faible humanité. Ainsi nous pouvons devenir parfaits, parce que le Christ Jésus lui-même nous parfait, si je peux dire. Il est avec nous. Son Esprit est en nous. Ne nous inquiétons pas, même si nous avons tout défait ou si nous nous sommes défaits, il nous refera et nous acheminera vers la véritable perfection, celle de l’amour, grâce à son Esprit.

Cela n’est pas facile, ai-je besoin de le dire? Le président Kennedy affirmait « le vrai politique, c’est celui qui sait garder son idéal tout en perdant ses illusions ». Gardons notre idéal même au risque de passer pour fou aux yeux du monde car, comme nous l’avons entendu, « la sagesse de ce monde est folie devant Dieu ». Pour la raison raisonnante, c’est le plus fort qui a toujours raison. Elle s’illusionne! Jésus se situe dans une tout autre sagesse, celle du Père, celle du pardon, celle de son Esprit d’amour! Et c’est elle qui conduit le monde, malgré les apparences! Jésus a vaincu le monde!

Alors que nous célébrons, ce soir, la diversité de notre humanité, le Seigneur nous invite non seulement à la voir comme une richesse, mais comme une expression de la bonté du Père. L’amour est sans doute la perfection à laquelle chacun et chacune d’entre nous est appelé, elle est aussi celle à laquelle est invité l’ensemble de l’humanité.

Reprenant saint Paul, n’oublions pas que « nous sommes au Christ, que le Christ est à Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en nous! » Suivre le Christ, c’est oser l’idéal qu’il nous propose, c’est être tiré par le haut et avancer avec lui sur le chemin de la perfection de l’amour en proclamant avec le psalmiste : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, il est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour, comme la tendresse du père pour ses enfants, la tendresse du Seigneur pour qui le craint! »

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

À toi, Dieu, notre Père
la louange unanime et joyeuse des peuples
de toute race et de toute langue,
de toute culture et de tout pays,
depuis l’aurore du temps jusqu’à l’épuisement des siècles !
En leur nom, ton Église te bénit et te rend grâce
pour la fécondité de la terre,
pour les fruits de l’intelligence et du cœur.
Garde-nous dans la nouvelle et éternelle alliance,
que nous soyons saints
et irréprochables dans l’amour.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur
qui règne avec toi et le Saint Esprit
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.