7 FÉVRIER 2023
Faisons l'être humain à notre image et à notre ressemblance !
Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P., nous offre une lecture différente du récit de la Création qui présente l’Homme comme un projet inachevé et invité par Dieu Lui-même à se raffiner, à régner non seulement sur la nature, mais aussi sur la part animale qui est en lui.

LIVRE DE LA GENÈSE (1, 20 – 2, 4a)
Quand il créa le ciel et la terre, Dieu dit encore : « Que les eaux foisonnent d’une profusion d’êtres vivants, et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel. » Dieu créa, selon leur espèce, les grands monstres marins, tous les êtres vivants qui vont et viennent et foisonnent dans les eaux, et aussi, selon leur espèce, tous les oiseaux qui volent. Et Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit par ces paroles : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez les mers, que les oiseaux se multiplient sur la terre. » Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.
Et Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon.
Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »
Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture. À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.
Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et tout leur déploiement.
Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite. Telle fut l’origine du ciel et de la terre lorsqu’ils furent créés.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (7, 1-13)
En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats.
Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Il leur disait encore : « Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour établir votre tradition. En effet, Moïse a dit : Honore ton père et ta mère. Et encore : Celui qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort. Mais vous, vous dites : Supposons qu’un homme déclare à son père ou à sa mère : “Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont korbane, c’est-à-dire don réservé à Dieu”, alors vous ne l’autorisez plus à faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre. ».
Homélie
Le récit de la création de l’être humain pose d’importantes questions d’interprétation. Par exemple, les mots image et ressemblance. Nous l’avons entendu, l’intention de Dieu est de créer ‘adam’ en son image et à sa ressemblance. En hébreu, image et ressemblance ne sont pas des synonymes. L’image est un terme concert correspondant à ce que peut être une sculpture, un portrait, une représentation. La ressemblance, quant à elle, est plus abstraite, plus spirituelle, résultant d’une comparaison entre deux termes.
Si les deux mots ont des sens différents, n’est-il pas surprenant que, décrivant l’acte même de la création de l’être humain, le narrateur, par deux fois, mentionne le terme « image », mais pas celui de la ressemblance? « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » Pas question de ressemblance. Où est-elle passée? Certainement pas dans la mention que « mâle et femelle il les créa ». Cette dernière affirmation souligne davantage ce que les humains ont en commun avec les animaux que leur proximité avec le Dieu créateur qui n’est ni mâle ni femelle.
Autre question. Je ne sais pas si vous avez remarqué que la création de l’être humain, si prodigieuse soit-elle, n’est pas immédiatement suivie du refrain « Et Dieu vit que cela était bon! » Alors que, dans la même journée, Dieu crée les animaux et se réjouit de leur création, nous ne retrouvons le fameux refrain « Dieu vit que cela était bon » qu’à la toute fin de la journée lorsque Dieu se réjouit de toute son œuvre. Comment expliquer cette omission?
Je vous propose une hypothèse. Ne serait-elle pas attribuable à ce que l’être humain est inachevé? Certes, celui-ci est créé à l’image de Dieu, mais celle-ci n’est pas encore ressemblance car l’être humain ressemble aux animaux avec qui il partage, entre autres, un même mode de reproduction. Il serait donc appelé à la ressemblance, à poursuivre l’œuvre créatrice de Dieu à son égard.
Ainsi Dieu aurait réalisé la part qui lui revient parce qu’il est le seul à pouvoir créer. Mais tout n’est pas encore fait. Dieu a fait sa part, il reste à l’être humain à faire la sienne. Alors le fameux ‘Faisons’ où Dieu exprime son projet, avec son pluriel, qui n’a pas cessé d’intriguer, serait alors l’expression d’une invitation de Dieu. Dieu ne se parlerait pas à lui-même, mais s’adresserait aux humains que sa parole est en train de créer – incluant tous les lecteurs de ce récit – pour les inviter à coopérer par leur agir à mener à leur accomplissement le projet créateur de Dieu tout d’abord en eux-mêmes. Comment alors l’image peut-elle devenir ressemblance? N’est-ce pas en humanisant ce par quoi elle s’approche de l’animalité ?
Le lieu de réalisation de l’être humain est la création que Dieu lui confie. Un réel pouvoir est remis à l’être humain, mais étrangement assorti d’une condition : ne se nourrir que d’une alimentation végétale. Après avoir imposé à l’être humain un devoir de maîtrise, Dieu l’invite à la douceur comme lui qui crée en séparant et en harmonisant. Être à l’image de Dieu implique agir comme lui. L’être humain est invité à se donner une limite, celle du respect de la vie et de la place de l’animal.
Mais cette suprématie sur le règne animal ne doit-elle pas s’étendre également sur cette part d’animalité qui constitue l’être humain? N’y a-t-il pas quelque chose, dans l’être humain, de « sauvage »? N’y a-t-il pas des forces qui attendent d’être domestiquées, humanisées? Comme le disait un grand exégète français « faire advenir l’humanité revient à devenir le pasteur de sa propre animalité ». L’être humain sera-t-il capable de rester maître des énergies vitales qui l’habitent? Réussira-t-il à canaliser leur impétuosité pour éviter qu’elles débordent en violence destructrice?
Nous voyons bien que ce récit de la création nous situe à des années-lumière des préoccupations légalistes des pharisiens et des scribes de l’Évangile. Celles-ci peuvent être utiles, mais toujours en vue de l’être humain et du projet de Dieu sur lui. « Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes ».
Rendons grâce à Dieu pour notre création, cette création qui se poursuit toujours en nous. Rendons grâces pour le Christ Jésus, sa parfaite image, qui nous conduit par l’amour vers la totale ressemblance.
P.S. Je vous invite à la lecture d’un grand commentaire de la création d’André Wénin intitulé D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Coll. Lire la Bible. Éd. du cerf.
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.