18 DÉCEMBRE 2022
Le rêve de Dieu bouscule
En ce quatrième dimanche de l’avent, le frère André Descôteaux, O.P. nous invite à rêver du rêve même de Dieu et confier à sa Parole, à la manière de Joseph.
LIVRE DU PROPHETE ISAÏE (7, 10-16)
En ces jours-là,
le Seigneur parla ainsi au roi Acaz :
« Demande pour toi un signe de la part du Seigneur ton Dieu,
au fond du séjour des morts
ou sur les sommets, là-haut. »
Acaz répondit :
« Non, je n’en demanderai pas,
je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve. »
Isaïe dit alors :
« Écoutez, maison de David !
Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes :
il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu !
C’est pourquoi le Seigneur lui-même
vous donnera un signe :
Voici que la vierge est enceinte,
elle enfantera un fils,
qu’elle appellera Emmanuel
(c’est-à-dire : Dieu-avec-nous).
De crème et de miel il se nourrira,
jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien.
Avant que cet enfant sache rejeter le mal
et choisir le bien,
la terre dont les deux rois te font trembler
sera laissée à l’abandon. »
LETTRE DE SAINT PAUL APOTRE AUX ROMAINS (1, 1-7)
Paul, serviteur du Christ Jésus,
appelé à être Apôtre,
mis à part pour l’Évangile de Dieu,
à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome.
Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance
par ses prophètes dans les saintes Écritures,
concerne son Fils qui, selon la chair,
est né de la descendance de David
et, selon l’Esprit de sainteté,
a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu
par sa résurrection d’entre les morts,
lui, Jésus Christ, notre Seigneur.
Pour que son nom soit reconnu,
nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre,
afin d’amener à l’obéissance de la foi
toutes les nations païennes,
dont vous faites partie,
vous aussi que Jésus Christ a appelés.
À vous qui êtes appelés à être saints,
la grâce et la paix
de la part de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (1, 18-24)
Voici comment fut engendré Jésus Christ :
Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ;
avant qu’ils aient habité ensemble,
elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
Joseph, son époux,
qui était un homme juste,
et ne voulait pas la dénoncer publiquement,
décida de la renvoyer en secret.
Comme il avait formé ce projet,
voici que l’ange du Seigneur
lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David,
ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse,
puisque l’enfant qui est engendré en elle
vient de l’Esprit Saint ;
elle enfantera un fils,
et tu lui donneras le nom de Jésus
(c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve),
car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela est arrivé
pour que soit accomplie
la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
Voici que la Vierge concevra,
et elle enfantera un fils ;
on lui donnera le nom d’Emmanuel,
qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
Quand Joseph se réveilla,
il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit :
il prit chez lui son épouse.
Homélie
Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’affaire Shafia, où trois sœurs d’origine afghane et leur belle-mère ont été retrouvées mortes noyées dans une voiture découverte dans une écluse du canal Rideau. Leurs parents et leur frère ont été reconnus coupables de meurtre au premier degré. Le crime d’honneur en était le mobile. Combien de femmes abandonnées avec ou sans enfant sont victimes de violence pouvant conduire à la mort au nom justement de l’honneur ou au nom de la morale?
Le sort de Marie ne s’annonce guère plus favorable. Dans le village, on voit bien le ventre de Marie s’arrondir et pourtant elle ne vit pas encore avec son fiancé, Joseph. La Loi juive était claire. Pas de divorce pour l’adultère, mais la lapidation. L’histoire ne fait que commencer, et Marie et son enfant auraient dû être mis à mort! Si Joseph l’avait répudiée en secret, comme il pensait le faire, quel aurait été son sort si elle avait pu échapper à la mort? Comment Jésus, le bâtard, aurait-il grandi? Que serait-il advenu de celui que l’archange Gabriel nommait le Fils du Très-Haut? Notre Dieu a pris un gros risque. « Risque d’espérer, de la part de Dieu, que l’être humain puisse être autre que la cruauté de la Loi ».
Ainsi, Dieu va se confier à Joseph. Avant de renvoyer en secret Marie, Joseph prend le temps. Il mûrit sa décision. Comme on dit, la nuit porte conseil. Voici que par un ange, le ciel intervient. Il apparaît en songe à Joseph et lui dit en premier lieu de ne pas avoir peur, ‘ne crains pas’ de prendre Marie chez toi. Ne crains pas de rompre avec la loi mortelle. Ne crains pas de prendre le risque de la vie. Ne crains pas : tu as un rôle important à jouer même si cet enfant a été engendré en Marie par l’Esprit Saint. Ne crains pas, c’est toi qui lui donneras un nom. C’est par toi qu’il deviendra de la lignée de David. Ne crains pas de l’aimer : c’est de toi qu’il apprendra à reconnaître l’amour d’un père. Ne crains pas de lui transmettre le meilleur de toi-même : devenir juste.
Oui, Joseph est vraiment un juste, comme le dit l’Évangile non parce qu’il observe la Loi, ce que d’ailleurs il n’a pas l’intention de faire puisqu’il pense à répudier Marie en secret, ce qui est contraire à la Loi, mais parce qu’il sait s’ajuster en étant à l’écoute de Dieu. Il a su s’ajuster au projet de Dieu. Il a eu foi en Dieu. Cela ne nous rappelle-t-il pas Abraham qui, selon l’Écriture, a été justifié par sa foi ? Ainsi Joseph est juste du fait de sa foi qui se manifestera également quand, à la suite d’un songe, il partira en exil avec Marie et Jésus ou encore quand ils reviendront. Il croit à la parole qui lui est dite. Il ne discute pas. Il agit. Il ne se dit pas : bon, je vais y penser ou je vais mettre sur pied un comité d’étude des propositions célestes. Il ne parle pas, mais il décide, il prend des risques, il s’engage. Il ne dit pas un seul mot, mais sa foi se manifeste dans sa vie.
La première lecture présente un autre descendant de David, Acaz. Lui, il est roi, un jeune roi dans une situation fort délicate. Il est pris en souricière. D’une part, l’empire assyrien, dont la capitale est Ninive, domine la région. D’autre part, deux royaumes voisins, la Syrie et la Samarie se sont révoltés contre Ninive. Ils veulent entraîner Acaz dans leur révolte. S’il refuse, ils sont prêts à le détrôner. Acaz ne sait plus où donner de la tête. Il offre des sacrifices à toutes les idoles et va même jusqu’à commettre le crime abominable de sacrifier son fils unique.
C’est dans un tel contexte qu’Isaïe intervient en invitant Acaz à la foi au Dieu des Pères qui a juré de garder la maison de David. Il lui propose même de demander un signe à Dieu pour le raffermir dans la foi. Mais Acaz se défile. En hypocrite, il dit ne pas vouloir tenter Dieu alors que dans les faits il a pris sa décision. Isaïe ne se laisse pas démonter. Malgré les infidélités répétées d’Acaz, Isaïe affirme que Dieu, lui, reste fidèle. Dieu va le prouver en lui donnant un fils, Emmanuel, qui sera le signe que Dieu est toujours avec lui, avec son peuple!
Deux hommes, deux descendants de David, Joseph et Acaz. Joseph disponible s’ajuste à ce qu’il perçoit être la volonté de Dieu aussi surprenante qu’elle puisse être. Il ne craint pas. Il prend le risque de la promesse de Dieu en accueillant l’Emmanuel. Acaz lui reste sur sa peur. Il n’arrive pas à dépasser sa crainte par la foi. Il s’enferme dans ses idées, sa politique, ses jeux diplomatiques de pouvoir. Il ne peut s’ouvrir à la parole du ciel qui lui est adressée par le prophète Isaïe. Il se refuse à faire confiance en Dieu, à croire que le Dieu de son ancêtre David est fidèle à sa promesse. Pourtant l’histoire a donné raison à Isaïe : peu de temps après, les deux royaumes de Syrie et de Samarie ont été complètement écrasés par l’empire assyrien. « Avant que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon ».
Deux hommes, deux descendants de David, un, pauvre charpentier, avec peu de ressources, s’ouvre dans la foi à l’inattendu, au rêve de Dieu, dépasse ses craintes et s’engage. L’autre, roi apeuré, se refuse à s’ajuster, dans la foi, à la promesse de Dieu, à aller de l’avant dans la confiance.
À toute époque, y compris la nôtre, Dieu bouscule. Son rêve bouscule. Seules les personnes capables de s’ouvrir à une nouvelle dimension, de rêver du rêve même de Dieu, de croire que Dieu est plus grand que la dure réalité de notre monde, seules ces personnes peuvent accueillir l’enfant qui se donnera à nous à Noël, l’Emmanuel, Dieu avec nous. Comme tout enfant, il changera le programme des personnes qui se croient sages et avisées comme un enfant force les parents à revoir les rêves qu’ils avaient échafaudés à son endroit.
Sommes-nous des justes à la manière de Joseph capables de nous ajuster aux intuitions de l’Évangile, à ses rêves qui peuvent bousculer nos vies? Je lisais récemment que le pape François, dans les entrevues privées, pouvait ne rien dire pendant dix minutes. Il s’interrompait et priait en silence. Et après, il disait ce qu’il avait senti de Dieu.
À la veille de Noël, comme Joseph, ouvrons nos cœurs dans la foi. Rêvons toujours plus grand de sorte que nos rêves deviennent celui de Dieu. Heureux l’homme qui fit entrer le salut en ce monde par un songe! Amen.
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.