2 OCTOBRE 2022
Serviteurs de la Parole
Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P. nous encourage à travailler en faveur des autres, comme le serviteur de la parabole (Lc 17, 5-10), et ça malgré les incertitudes, les injustices et l’haine à la quelle nous faisons face comme croyants et croyantes dans ce monde contemporain.
PREMIÈRE LIVRE DU PROPHÈTE HABACUC (1, 2-3 ; 2, 2-4)
Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.
DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE (1, 6-8.13-14)
Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (17, 5-10)
En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi. Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Homélie
L’évangile d’aujourd’hui nous invite à considérer notre relation à Dieu à partir de nos façons d’assumer les différentes responsabilités que nous portons dans nos vies quotidiennes. Ces responsabilités sont variées. Et selon nos statuts, elles prennent différents visages. C’est compréhensible : si une personne est mariée, si elle est père ou mère de famille, si elle est chef d’entreprise ou employée, elle a des « devoirs » vis-à-vis des institutions ou des gens qui lui font confiance. Autrement dit, toute personne, dans une société donnée, est engagée dans des réseaux de solidarité et de collaboration. Elle ne peut pas abandonner ses responsabilités sans affecter négativement la qualité de vie des personnes avec qui elle est en contact direct ou indirect.
Dans la petite parabole que Jésus proposait à ses disciples, le personnage du serviteur avait plusieurs rôles à remplir sur la propriété rurale où il était engagé : il devait labourer les champs à semer, avoir soin des animaux et les protéger. S’ajoutait à ces tâches la préparation des repas de son patron. Tout cela constituait sans doute la charge normale de bien des travailleurs engagés dans le monde rural de la Galilée au temps de Jésus. Notons que le récit ne fait aucune allusion à une exploitation possible du travailleur de la part du propriétaire. Aucune allusion non plus au degré d’attachement du serviteur à ses différentes tâches : les aimait-il ou les détestait-il, ces tâches? Rien n’est dit à ce propos dans le court récit. Ce qui est retenu comme important, c’est le fait que le serviteur se charge consciencieusement de tout ce qui lui est demandé. Il trouve son accomplissement personnel, et sa joie peut-être, dans la part qu’il remplit, avec d’autres travailleurs sans doute, pour assurer la productivité du domaine agricole où il est engagé.
Or, Jésus transpose cette réalité du monde rural au plan de la mission apostolique qu’il a confiée à ses disciples. Eux aussi doivent agir et se comporter comme des serviteurs fidèles. Ils doivent agir comme des serviteurs qui trouvent le sens de leur vie dans la collaboration qu’ils offrent à Dieu pour que son projet de salut puisse se réaliser. Quand nous lisons les Actes des apôtres, nous ne pouvons qu’être frappés par l’intensité avec laquelle l’apôtre Paul assume son travail missionnaire. Mais il n’y a pas que lui qui est en quelque sorte brûlé de l’intérieur par une volonté de faire connaître le mystère du Christ Jésus. Nous voyons de ses collaborateurs et collaboratrices qui, tout en exerçant un métier ou une profession rattaché au monde des affaires, s’investissent dans le projet d’évangélisation. Pensons par exemple à Priscille et Aquilas qui soutiennent l’apôtre Paul à Corinthe, à Lydia, la marchande de pourpre qui, après sa conversion, accueille chez elle la nouvelle communauté chrétienne de la ville de Philippe. Ce sont là des serviteurs et des servantes de l’Évangile. Et on le constate, cet esprit de service commençait dans les familles pour s’élargir par la suite aux dimensions de leurs divers réseaux de relations.
Ces exemples tirés des premières communautés chrétiennes nous amènent à nous poser la question : sommes-nous aujourd’hui, dans notre monde sécularisé, des serviteurs et des servantes selon l’esprit de l’Évangile? Comment répondre à une telle question sans prendre le risque de s’illusionner sur nos attitudes et comportements? Au début du XVIIe siècle, saint François de Sales, dans son livre Introduction à la Vie dévote (1609), a voulu faciliter les discernements que chaque chrétien devait faire pour correspondre aux attentes du Seigneur. C’est ainsi qu’il a popularisé l’expression suivante : « faire son devoir d’état ». Grâce à lui, les chrétiens et chrétiennes avaient en main une liste de réalités à prendre en compte pour évaluer la qualité de leur engagement. Pour ce faire, il invitait chaque baptisé à considérer les obligations particulières qu’il avait à assumer, et ce, tant au plan séculier qu’au plan religieux. Le baptisé devait tenir compte de son statut et de ses fonctions. Par exemple, pour saint François de Sales, un célibataire devait reconnaître qu’il n’avait pas les mêmes devoirs que les pères et les mères de famille, qu’un patron n’avait pas les mêmes responsabilités qu’un employé, qu’un curé de paroisse n’avait pas les mêmes obligations qu’un évêque. Selon le statut de chacun, les devoirs prenaient un visage particulier. Cette façon de procéder, nous la retrouvons dans le Catéchisme de l’Église catholique publié en 1992. Ainsi y trouve-t-on une présentation des devoirs des parents (nos 2221-2231), une liste des devoirs des citoyens (nos 2238-2243), un relevé des devoirs de rendre un culte à Dieu (nos 2083, 2104-5, 2136), des indications sur le devoir de participer à la vie sociale (nos 1913 et 1916). Bref, une telle grille de lecture proposée à chaque personne baptisée permettait et permet toujours de porter un regard lucide sur ses engagements quotidiens. Cela lui permet, de fait, de vérifier si elle travaille consciencieusement dans la vigne du Seigneur, si elle sait servir tant son prochain que Dieu lui-même.
Rappelons ici que Jésus confiait à ses disciples une mission qui allait comporter beaucoup d’imprévus. L’objectif à atteindre était cependant clair : l’annonce du salut de Dieu offert à l’humanité. Et le chemin à emprunter pour y parvenir comprenait une série d’obligations à remplir, de devoirs à assumer. Les apôtres en particulier étaient sans doute conscients du fait que les défis à relever seraient de taille, parfois même écrasants. De toute évidence, c’est pour cette raison qu’ils disent à Jésus : « Augmente en nous la foi ». (Lc 17, 5) Et lui de leur laisser entendre que c’est Dieu le Père qui les soutiendra et les accompagnera. Mais ce soutien par Dieu se fera, à certains moments, trop discret à leurs yeux. Ils auront à vivre comme le serviteur de la parabole qui accomplira toutes ses tâches sans pouvoir exiger de son maître des signes de reconnaissance ou des privilèges. Ils devront se contenter d’être de simples serviteurs, de faire leur devoir de disciple de Jésus. Les consolations, ils ne les trouveront pas nécessairement dans les résultats que fera naître leur service de l’Évangile. Ils devront aller de l’avant en faisant confiance au Seigneur.
Notre situation de chrétien et chrétienne ressemble à celle qu’ont connue les apôtres et les premiers disciples. Nous faisons nous aussi l’expérience d’être minoritaires au sein de sociétés modernes qui ne partagent guère la vision chrétienne de l’existence. Nous faisons nous aussi l’expérience de l’incertitude face à l’avenir de notre monde, et ce, même si nous vivons et travaillons pour que l’Évangile soit une source de transformation de ce même monde. Que sera demain? Nous ne le savons pas vraiment. Dans une telle conjoncture, nous sommes cependant invités à regarder avec espérance l’avenir que Dieu va inventer. Et cet avenir, il va l’inventer avec la collaboration des hommes et des femmes de bonne volonté. C’est ce regard d’espérance qui peut nous permettre de répondre positivement à la mission que le Christ Jésus a confiée à chacun et chacune d’entre nous. Ce qui est attendu de nous les chrétiens et chrétiennes, c’est de continuer à servir malgré les incertitudes qui s’imposent à nous, malgré les injustices qui défigurent notre monde, malgré la haine qui habite le cœur de millions d’hommes et de femmes. À la manière du serviteur de la parabole, nous devons travailler pour servir les autres en assumant nos responsabilités et nos devoirs. De la sorte, le Royaume de Dieu pourra continuer de se faire une place dans le tissu de notre société.
En terminant, rappelons que tout est grâce dans la relation à Dieu. Dieu nous appelle, il nous soutient et, du même coup, il nous invite à partager sa vie. Et grâce à notre collaboration, il s’attend à ce que des hommes et des femmes de notre monde puissent continuer d’accueillir la lumière de l’Évangile. Que cette perspective nous amène à nous attacher fidèlement au Seigneur et à son œuvre de salut!
Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.
PRIÈRE
tu nous invites à collaborer à ton œuvre de libération
et tu nous révèles ainsi ta confiance inlassable envers nous.
Augmente notre foi dans la puissance de ton Esprit
pour que notre ferveur et notre fidélité
répondent au don que tu nous fais.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu,
qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.