19 octobre 2025
À temps et à contretemps
En ce Dimanche des Missions, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous invite apprendre d’une pauvre veuve ce que signifie la prière et l’entretient d’une foi persévérante, confiante et humaine.
LIVRE DE L’EXODE (17, 8-13)
En ces jours-là, le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim. Moïse dit alors à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites. Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. » Josué fit ce que Moïse avait dit : il mena le combat contre les Amalécites.
Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre, on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.
DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE (3, 14-4,2)
Bien-aimé, demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures : elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ; grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien.
Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (18, 1-8)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : ‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’ Longtemps il refusa ; puis il se dit : ‘Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ »
Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Prédication
Aujourd’hui, c’est le « Dimanche des Missions ». Cela évoque l’envoi, le déplacement pour aller vers, les défis de la proximité et de l’accueil. Mais l’Évangile de Luc, une parabole, nous parle de la prière, comme aussi la 1ère lecture du Deutéronome. Peut-être mission et prière sont-ils liés. Après tout, c’est l’Évangile de Luc qui insiste le plus sur la prière mais aussi sur la mission!
Qu’est-ce que cette parabole nous invite à découvrir? Elle ouvre plusieurs pistes. Dès le début (v.1), son appel est clairement indiqué par Jésus : il s’agit de prier avec ténacité. Le récit (v.2-5) nous présente ensuite deux personnages bien campés : la veuve et le juge. On les voit, on les entend, jusqu’au fond de nous. Puis l’horizon s’élargit (v.6-8a) : Jésus, ou plutôt le Seigneur, nous invite à la confiance mais en posant comme enjeu notre image de Dieu, de son mystère, à saisir plus profondément à travers la prière elle-même. Tout cela est riche de suggestions. Mais voici que la finale (v.8b) vient nous déséquilibrer, nous dérouter; elle nous interpelle vivement et nous laisse songeurs…
Les deux personnages de la parabole sont des figures bibliques fréquentes. La veuve, par sa condition, incarne toutes les personnes pauvres et opprimées. Dans la Loi (Dt 24,17-21), comme chez les Prophètes (Is 1,17; Ez 22,7) et dans les Psaumes (146,9), le test de la justice, c’est le souci et le respect de la veuve, ainsi que de l’orphelin et de l’étranger. Ce qui caractérise la veuve de la parabole, c’est son insistance, sa détermination, que Jésus met en relation avec la prière. Prier implique de tenir bon, de faire confiance, de ne pas lâcher. On trouve la même attitude en d’autres paraboles : l’ami (Lc 11, 5), le fils (11,11); ou encore chez la Cananéenne (Mt 15,21-28). Cette veuve vit en contexte d’adversité et d’injustice, comme des chrétiens au temps de Luc, comme des personnes et groupes aujourd’hui qui se demandent si Dieu entend leurs souffrances et leurs supplications.
Le juge est nettement un homme antipathique. Il ne respecte pas Dieu, i.e. il n’est pas habité par cette crainte de Dieu qui, dans la Bible, est le commencement de la sagesse. C’est un homme sans scrupule, qui se fiche de tous, sans engagement religieux et sans respect des personnes. Sa motivation pour faire justice relève d’une volonté d’avoir la paix ou de la peur de perdre sa réputation. Rien de très engagé au plan éthique! Et pourtant Jésus ose faire un rapprochement entre cet affreux personnage et Dieu lui-même. Mais pour montrer, justement, que Dieu agit de façon contraire : Dieu a souci des êtres humains, particulièrement des plus vulnérables, comme cette veuve, par-delà l’échec apparent de nos demandes ou ce qui nous semble son impuissance.
Si un juge injuste peut faire justice, encore plus Dieu, le juste juge (Si 35,12-24; Ps 68,6), le compatissant, prendra-t-il soin des siens. Ainsi, nous sommes appelés à la fois à tenir bon, à continuer jour et nuit de prier, et à opérer des déplacements dans notre image de Dieu. Il n’est pas indifférent et lointain, ou capricieux, sinon, il ne serait pas le Dieu vivant. Et pour tenir, nous avons à nous entraider, comme on le voit avec Moïse et ses deux compagnons.
Et puis vient cette finale dérangeante. Jésus, le Seigneur, devient ici le Fils de l’Homme, figure du dernier avènement. Quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre? On peut se demander de quelle foi s’agit-il. Déjà, il y a deux dimanches, les apôtres l’avaient demandée (Lc 17,5). Et si cette foi était justement cette ténacité dans la prière qui, à travers les épreuves, les adversités, maintient la relation à Dieu? Une confiance têtue qui ne lâche pas, qui ne coupe pas les liens, qui ose exprimer à Dieu les souffrances et colères, les porter devant lui en vérité. Une foi qui n’est pas résignation plus ou moins amère, prenant ses distances face à soi-même comme à Dieu, mais qui est capable de plaintes et de cris, comme de louange et de bénédiction, car elle est une foi vivante, celle de vivants.
La mission requiert cette même confiance tenace et des déplacements dans notre image de Dieu, pour que l’annoncer de la Bonne nouvelle, à temps et à contretemps, comme dit Paul, porte fruit.
Pour tous les témoins, individuels et communautaires, d’une espérance ferme et encourageante, rendons grâce au Dieu vivant et bienfaisant, le Père des miséricordes, par Jésus le Seigneur et le Fils de l’Homme, présent avec nous maintenant et dans les âges à venir. Amen.
Fr. Daniel Cadrin, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant,
fais-nous toujours agir pour toi d’une volonté ardente,
et servir ta gloire d’un cœur sans partage.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.
